(ORONTE, CLITON.)
Cliton
La prière est galante.
Oronte
Après ce premier pas j'ose espérer qu'un jour
Il me priera pour lui d'aller traiter l'amour ;
Au moins avec raison puis-je tout m'en promettre,
S'il lui faut mon secours pour écrire une lettre.
Que t'en semble ?
Cliton
Si j'ose en dire mon avis,
En lui si c'est sottise, en vous c'est encor pis.
Oronte
Tu parles franchement.
Cliton
Aussi, Monsieur, j'enrage
Que vous mettiez pour lui vos talents en usage.
Quand près de quelque objet vous jurez quelquefois,
Quoiqu'en pleine santé, d'être presque aux abois,
Et que vous débitez les plus douces fleurettes
Pour mieux peindre des maux qu'à plaisir vous vous faites,
Je n'en murmure point, et je vois sans courroux,
Du moins si vous mentez, que vous mentiez pour vous ;
Mais qu'un foible intérêt l'emportant sur le vôtre
Vous fasse encor résoudre à mentir pour un autre,
Comme si c'étoit peu, pour vous de vos péchés…
Car enfin savez-vous les sentiments cachés.
S'il est amant, peut-être est-ce à dessein de rire,
Et vous irez jurer qu'il languit, qu'il soupire ?
Oronte
J'ai pu m'en exempter, il m'étoit fort aisé,
Et tout autre qu'Éraste eût été refusé ;
Mais si ce même Éraste est frère de Lucie,
L'une des trois Beautés dont mon âme est ravie,
Et si par un effet de son heureux destin
De Dorotée encore il est proche Voisin,
Puis-je rien refuser à qui m'est nécessaire,
Tantôt comme voisin, et tantôt comme frère.
Cliton
C'est prévoir de bonne heure à tout, et d'assez loin.
Oronte
Il n'est si sot Ami qu'on n'emploie au besoin,
De ma facilité c'est la raison secrète.
Mais il faut voir enfin de quel air on le traite.
Cliton
Peut-être s'en rit-on.
Oronte
C'est comme je l'entends,
Ou s'il est régalé, que c'est à ses dépens.
(Il lit.)
Pour prix de votre amour que vous peignez extrême,
Éraste, vous osez me demandez le mien ;
Quelquefois par bonté j'endure que l'on m'aime,
Mais je prétends aussi qu'il ne m'en coûte rien.
Vous donner cœur pour cœur…
(Il prend son billet et le confronte avec celui qu'Éraste lui a laissé.)
Ai-je pris l'un pour l'autre ?
Cliton
Sans doute, ou ce Billet ressemble fort au vôtre.
Oronte
Jamais telle surprise à mes sens ne s'offrit,
C'est ici mot pour mot tout ce que l'on m'écrit,
Et je reconnois trop, plus je les étudie,
Si j'j'ai l'Original, qu'Éraste a la Copie.
L'écriture est semblable, et ne diffère point…
Cliton
Vous êtes à peu près chaussés à même point.
N'importe, Dorotée a beau faire la fine,
Vous l'avez deviné, tout son fait n'est que mine,
Et l'orgueil de sa Lettre à dessein affecté
Tend un piège secret à votre liberté,
Elle brûle, et l'Amour lui seul la fait écrire ?
Ah, si devant un Maître un Valet osoit rire…
Oronte
Non, je ne prétends point, Cliton, t'en empêcher ;
Ris, j'en rirai moi-même au lieu de m'en fâcher.
Cliton
Mettez le masque bas, déjà pour vous j'enrage.
Que sert à mauvais jeu de montrer bon visage ?
Pestez, le mal redouble à qui se contraint tant.
Vous êtes, Dieu merci, de vous assez content,
Et vous voir pris pour dupe où vous pensiez y prendre.
Croyez-moi, c'est un cas, Monsieur, à s'en aller pendre.
Oronte
La pièce est délicate, et je ne cèle pas
Qu'un Sot en ce rencontre eût poussé force hélas,
Et contre ces assauts manquant d'expérience,
De sa maligne étoile accuse l'influence ;
Mais pour moi qui connois ce que c'est que d'aimer,
De semblables revers ne peuvent m'alarmer :
Si chaque Objet me plaît, c'est sans inquiétude,
Jamais de préférence, et point de servitude,
Toujours prêt de le perdre, et de m'en détacher
Au moindre événement qui me pourroit fâcher.
Ainsi quelque beau feu que je fasse paroître,
Pour ne rien hasarder, j'en suis toujours le maître ;
Ainsi divers Objets m'engageant chaque jour
Je me regarde seul dans ce trafic d'Amour,
Et chassant de mon cœur celui qui m'incommode,
Si je sais mal aimer, du moins j'aime à la mode.
Cliton
Conservez cette humeur, vous en aurez besoin.
Oronte
Mon déplaisir, Cliton, ne va jamais plus loin ;
Si l'une me trahit, l'autre me tient parole,
Et j'ai dans mon malheur toujours qui m'en console.
C'est là l'utilité d'aimer en divers lieux.
Cliton
Hilas, tant qu'il vécut, ne l'entendit pas mieux.
Oronte
Son humeur et la mienne ont quelque différence,
J'aime tant que l'on m'aime, et n'ai point d'inconstance ;
Mais quand par un caprice on songe à me quitter,
Je suis trop mon ami pour m'en inquiéter,
Je vois ce changement sans que mon cœur s'irrite,
Et remplace aisément la part qu'on m'en racquitte,
Ainsi je vis heureux, tant payé que tenu.
Cliton
Votre cœur à ce compte est d'un bon revenu ?
Oronte
Tel qu'il est, de beaucoup il attire l'envie ;
Mais j'en dois la moitié tout au moins à Lucie.
Cliton
En ceci le partage est un étrange point.
Donnez-le tout entier, ou ne le donnez point,
Votre flamme autrement sera mal écoutée,
Et Lucie agira comme a fait Dorotée.
Oronte
Je n'ai pas lieu d'en craindre un pareil traitement,
Lucie agit toujours avec jugement,
Sa conduite est réglée, elle est modeste et sage,
Et le plus défiant n'en prendroit pas ombrage.
Je trouve seulement en elle un grand défaut.
Cliton
Quel est-il ?
Oronte
Elle m'aime un peu plus qu'il ne faut.
Cliton
Et ce défaut est grand ?
Oronte
Il est des plus notables ;
Les querelles d'Amour sont querelles aimables.
Il est beau que l'Objet qui nous tient sous sa loi
Quelque fois à dessein soupçonne notre foi,
C'est par là qu'en nos cœurs l'Amour se fortifie,
Il semble qu'il renaît quand il se justifie.
Quelque désordre en nous qu'un reproche ait produit,
Il trouve un doux remède au pardon qui le suit.
Quelque faveur nouvelle aussitôt l'accompagne,
Et jamais l'Accusé n'y perd tant qu'il y gagne :
Mais lorsque d'un Amant on remplit les souhaits,
Comme l'on vit sans guerre, on ne fait point de paix,
L'Amour triste et pensif va son train ordinaire,
Servant par habitude on perd tout soin de plaire,
Point de délicatesse, et pour qui vit ainsi,
C'est toujours, Vous m'aimez et je vous aime aussi :
Qui ne haïrait point ces grossières pratiques ?
Cliton
Vous y savez, Monsieur, d'admirables rubriques,
Pour y raffiner tant vous avez bien rêvé.
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