L'Amour à la mode
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ACTE II - Scène VIII

Thomas Corneille

ACTE II - Scène VIII


(ORONTE, DOROTEE, CLITON.)

Oronte
Maraud, s'il t'arrive jamais…

Cliton
Mais, Monsieur, si Lucie…

Oronte
Il n'est ni si, ni mais.

Cliton
Que faire donc ? Par signe eussiez-vous pu connoître
Qu'elle veut cette nuit vous voir par sa fenêtre,
Et si je n'eusse ainsi mis l'alarme au quartier…

Oronte
Pourquoi n'attendre pas ?

Cliton
J'eusse pu l'oublier,
Vous savez déjà que je suis d'assez courte mémoire.

Oronte
Tais-toi, demeure-là.

Cliton (, regardant Dorotée.)
Qui l'eût jamais pu croire ?
La gueuse encore l'attend. Pauvre souffre-douleur !

Oronte (, à Dorotée.)
D'un zèle trop aveugle excuse la chaleur,
Notre alarme étoit fausse, et je reviens encore
Te jurer que je meurs pour toi, que je t'adore,
Qu'en vain de Dorotée on m'ose croire épris,
Qu'elle n'est à mes yeux qu'un objet de mépris.
C'est une beauté fade, et pour moi, je confesse
Que j'ai peine à la voir sans tomber en foiblesse.

Cliton
Au Diable devant moi le mot qu'elle répond.

Oronte
Ton obstiné silence à la fin me confond,
Et sans trop de rigueur tu ne peux davantage
Tenir ainsi caché l'éclat de ton visage.
Dussent mes foibles yeux s'en laisser éblouir,
Il faut…
(Il lève sa coiffe.)

Dorotée
Gardez, Monsieur, de vous évanouir.

Oronte
Quoi, Madame, c'est vous ?

Dorotée
Qui vous sers de risée.

Cliton
Que vois-je là ? Lisette est métamorphosée !

Oronte
Le Ciel sait…

Dorotée
Il ne sait que ce qu'il doit savoir,
Et moi, je ne vois rien que ce que j'ai cru voir.
Vous me paraissiez tel que vous devez paroître,
Je vous reconnois fourbe, et vous le devez être,
Votre sexe en naissant en prête le serment.

Oronte
Je pourrois appeler de votre jugement,
Mais si quelques effets démentent nos paroles,
Nous n'en apprenons l'art qu'à hanter vos écoles.

Dorotée
Si je voulois parler de vos légèretés…

Oronte
Peut-être dirions-nous tous deux des vérités ;
Mais n'écoutez point tant l'ardeur qui vous emporte.
Vous savez ce que vaut un homme de ma sorte ;
Sans parler de pardon ni de crimes commis,
Demeurons quitte à quitte, et vivons bons Amis.

Dorotée
Moi, qu'ainsi je m'oublie après un tel outrage !

Oronte
Vous courrez le hasard d'y perdre davantage,
Et refusant l'accord que j'ai su proposer,
Vous aurez de la peine après à m'apaiser.

Dorotée
De vrai, je suis d'avis que je vous satisfasse.

Oronte
Mais je vous offre ici la pais de bonne grâce.

Dorotée
Ce n'est pas sans sujet que je suis en courroux.

Oronte
Ce n'est pas sans raison que je me plains de vous.

Dorotée
Témoin ce qu'à présent vous venez de me dire.

Oronte
Témoin ce qu'aujourd'hui vous avez su m'écrire.

Dorotée
Vous pensiez cajoler une autre à mes dépens ?

Oronte
Vous, d'une double lettre avoir le passe-temps ?

Dorotée
Ne me reprochez point un simple tour d'adresse
Par où de votre amour j'ai connu la foiblesse.
Croyant qu'Éraste et vous ne vous déguisiez rien,
Pour guérir mes soupçons j'ai trouvé ce moyen,
Et la trahison seule avec trop d'injustice
Vous en a fait sitôt découvrir l'artifice.

Oronte
Et je vous porté d'abord de rudes coups ;
Non que j'aie ignoré que je parlois à vous,
Mais je l'ai fait exprès pour vous faire connoître
Qu'en fourbant, quelquefois on se joue à son maître,
Et que si vous songez jamais à me duper,
Je saurai bien encor par où vous attraper.

Dorotée
L'excuse est assez froide.

Oronte
Examinez la vôtre.

Dorotée
Enfin vous avez pu me prendre pour une autre,
Selon les lois de d'amour c'est un crime d'État,
Je n'examine rien après cet attentat,
Et veux, pour satisfaire à ma gloire offensée,
Vous bannir de mes yeux comme de ma pensée.
C'est vous traiter encor trop favorablement.

Oronte
Il faudra se résoudre à ce bannissement,
Mais perdant un Sujet de si haute importance,
Je prévois votre Empire en grande décadence.

Dorotée
Je le relèverai, perdez-en le souci.

Oronte
Votre seul intérêt me fait parler ainsi.
Croyez-le, je vous aime, et n'ai point d'autre envie
Que de suivre vos lois tout le temps de ma vie.

Dorotée
Et qui m'en répondra ?

Oronte
Vous, si vous m'écoutez.

Dorotée
Voyons donc, votre fourbe à quoi vous l'imputez.

Oronte
L'innocence jamais n'est assez manifeste
Que quand…

Dorotée
Ce soir chez moi vous me direz le reste :
Là, pour mieux m'assurer de vos intentions,
J'attendrai vos respects et vos soumissions.
Adieu.

Oronte
Cette retraite est bizarre et bien prompte.

Cliton
Sur le point de se rendre elle en a fui la honte,
Et cru qu'il valoit mieux attendre que la nuit…
Mais je commence enfin à voir ce qu'elle fuit.
Ne le demandez plus puisque Éraste s'avance.


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