L'Amour à la mode
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ACTE III - Scène II

Thomas Corneille

ACTE III - Scène II


(ORONTE, LUCIE, CLITON.)

Oronte
Êtes-vous là, Madame ?

Lucie (, à sa fenêtre.)
Est-ce Oronte ?

Oronte
Oui, c'est moi,
Qui vous reprocherois votre manque de foi,
Si je ne vous croyois trop juste et raisonnable
Pour perdre un malheureux s'il n'étoit pas coupable.

Lucie
Oronte, prenez-vous plaisir à m'alarmer ?
Moi, je vous puis trahir, et ne vous plus aimer !

Oronte
Ah, ne présumez pas que je m'en ose plaindre,
Ma douleur par respect saura mieux se contraindre,
Pour grands que soient les maux dont je reçois les coups,
Ils me sont précieux puisqu'ils viennent de vous.
Posséder votre cœur m'étoit un bien insigne,
Vous m'en voulez priver, je n'en étois pas digne.
Je viens de votre bouche en écouter l'Arrêt,
Et lui sacrifier mon plus cher intérêt,
Heureux, si mon malheur ayant fait tout mon crime,
Vous m'ôtez votre amour sans m'ôter votre estime.

Lucie
Quelle mortelle atteinte à ce cœur amoureux !
Vous parlez de coupable, et puis de malheureux.
Ah, ne me tenez point en suspens davantage,
De grâce, expliquez mieux un si triste langage,
Et du moins, pour vous plaindre avec quelque couleur,
Sachons quel est ce crime, ou quel est ce malheur.

Oronte
Vous souffrez qu'en secret un Rival vous adore,
Mon malheur, le voilà ; mon crime, je l'ignore ;
Mais je ne me puis voir sitôt abandonné
Sans m'estimer coupable autant qu'infortuné.
En effet, je croirois mériter mon supplice
Si je vous soupçonnois de la moindre injustice ;
De votre changement je n'accuse que moi,
Vous m'avez dû punir, mais je ne sais pourquoi.

Lucie
La surprise où me jette un reproche semblable…

Oronte
Ah, c'est trop différer à perdre un misérable,
Chercher à l'adoucir, c'est redoubler mon mal.
Dites qu'on me préfère un plus digne Rival,
Que c'est par mes défauts qu'éclate son mérite,
Que de vos premiers feux votre gloire s'irrite,
Qu'afin de m'avertir de votre nouveau choix,
Vous me souffrez ici pour la dernière fois,
Et que loin de vos yeux, pour plaire à votre envie,
Je dois aller traîner ma déplorable vie.
Ce coup à mon amour sera rude, il est vrai,
Mais dussé-je en mourir, je vous obéirai,
Avec tant de respect, que ma triste présence
Ne vous reprochera jamais votre inconstance.
(A Cliton.)
Jouai-je bien mon rôle ?

Cliton
Admirablement bien ;
Vous feriez au besoin un grand Comédien.

Lucie
Ce discours me surprend jusques à me confondre,
J'en perds la liberté même de vous répondre,
Et ne vois aucun jour à me justifier,
Lorsque vous vous plaignez sans rien spécifier.
Si j'ose toutefois dire ce que j'en pense,
Votre douleur, Oronte, a beaucoup d'éloquence,
Et je la croirois moins, quoi que vous m'ayez dit,
L'effet d'un cœur atteint, qu'un jeu de votre esprit.
La douleur véritable, encor que violente,
N'a pour son truchement qu'une œillade mourante.
Elle fuit du discours le détour odieux,
Et c'est par les soupirs qu'elle s'explique que le mieux.
Mais enfin s'il est vrai que je sois une ingrate,
Nommez-moi ce Rival pour qui ma flamme éclate,
Et pour ne rien omettre à convaincre ma foi,
Dites ce que ses soins ont obtenu de moi.

Oronte
Vus contraindrez longtemps les secrets de votre âme
Si pour les découvrir vous attendez Florame,
Quoiqu'il montre pour vous beaucoup de passion,
Il manquera ce soir à l'assignation ;
Quelque obstacle imprévu l'empêche de s'y rendre,
Et c'est ce que demain il viendra vous apprendre.

Lucie
Il suffit.
C'est donc là ce qui vous rend jaloux ?
À Florame aujourd'hui j'ai donné rendez-vous ?

Oronte
Je l'en ai vu tantôt dans une joie extrême.

Lucie
Vous le savez de lui sans doute ?

Oronte
De lui-même.
Mais hélas ! Jusqu'où va votre aveugle rigueur !
Vous vouliez devant moi lui donner votre cœur.
C'est peu que votre amour comble le sien de joie,
Pour mourir de douleur il faut que je le voie.

Lucie
À vos lâches soupçons n'avoir rien refusé,
C'est mériter fort peu d'être désabusé,
Et toute autre en ma place après un tel reproche…
Bas.
Mais je pense entrevoir un homme qui s'approche,
C'est mon Frère, sans doute, il faut dissimuler.
Haut.
Vous ne pourrez, Monsieur, aujourd'hui lui parler,
L'heure n'est point réglée, et je ne puis vous dire
Dans quel temps de la nuit mon Frère se retire.
Tous les soirs il me quitte, et ne revient que tard,
Adieu.
(Elle ferme la fenêtre.)

Oronte
Quel contretemps !

Cliton
Il est assez gaillard.

Oronte
Pour en trouver la cause en vain je m'examine.

Cliton
Pour fin que vous soyez, Monsieur, on vous affine ;
Dans l'esprit de fourber on voit que vous parlez,
Et l'on vous plante là pour ce que vous valez.

Oronte
Tais-toi, j'entends quelqu'un.


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