(ORONTE, CLITON.)
Oronte
Tu ne dis mot, Cliton ; quelle mélancolie
Fait qu'avec moi ce soir ta belle humeur s'oublie,
Je t'entends soupirer, et te plaindre à tous coups.
Cliton
Ah, Monsieur, que ne suis-je aussi content que vous !
Oronte
Il est vrai qu'affranchi d'accompagner Florame,
Qui manque au rendez-vous où l'appeloit sa flamme,
J'y vais de mon côté l'esprit assez content.
Cliton
Je voudrois bien, Monsieur, en pouvoir dire autant,
Mais d'un étrange mal je sens la rude attaque.
Oronte
De quel mal ?
Cliton
Mon humeur est hypocondriaque,
Et ce mal d'autant plus me tient avant au cœur,
Que peu de Médecins savent guérir l'honneur.
Oronte
Je te crois ; mais Cliton, confesse-moi la dette,
Tu te fâches de voir que je serve Lisette ?
Cliton
Au contraire, Monsieur ; si je suis en courroux
C'est bien plutôt de voir qu'elle se sert de vous.
Oronte
Simple, ne vois-tu pas que c'est ton avantage
Qu'à ses perfections je daigne rendre hommage,
Que par là son mérite est en son plus beau jour,
Et que ma passion ennoblit ton amour ?
Cliton
C'est ce que j'appréhende, et que par votre adresse,
Vous ne m'alliez donner des lettres de Noblesse.
J'ai peu d'ambition, Monsieur, et franchement
Je me passerois bien de l'ennoblissement.
Oronte
C'est fort mal reconnoître une faveur si grande.
Cliton
Vous m'en faites cent fois plus que je n'en demande.
Oronte
Va, ne te fâche point, avant qu'il soit huit jours
Je pourrai te laisser paisible en tes amours ;
Ce temps en ma faveur fera bien des miracles,
Et de ma part alors tu n'auras plus d'obstacles.
Cliton
Oui, mais pour m'obliger, jusques à ce beau jour
Vous me ferez l'honneur d'ennoblir mon amour ?
Je vous devrai beaucoup.
Oronte
Plus que tu ne peux croire.
Cliton
Vos générosités vous mettront dans l'Histoire.
Oronte
Cliton, sans la flatter, Lisette a des appas
Dont, quelque effort qu'on fasse, on ne se défend pas ;
À toute autre Beauté mon amour la préfère,
Et comme elle me plaît autant qu'elle peut faire,
Crois que c'est en user modestement
Que de te l'emprunter pour huit jours seulement.
Cliton
Puisque vous y trouvez de si grands avantages,
Prenez-la pour toujours, et redoublez mes gages ;
Aussi bien d'aujourd'hui j'en suis fort dégoûté.
Vous avez à tel point enflé sa vanité,
Que par mépris, la Gueuse oubliant sa promesse,
Ne m'a point averti du nom de sa Maîtresse.
Oronte
Quoi, Maraud, est-ce là le respect que tu dois
À celle dont mon cœur pour aimer a fait choix ?
Cliton
Ah, j'ai tort ; mais Monsieur, quoique je la révère,
Comme un Objet fameux pour avoir su vous plaire,
Et qu'après le haut rang où votre amour la met,
Je n'en doive parler que la main au bonnet,
Si dans quelque logis jamais je la rencontre,
Ou qu'en passant chemin le hasard me la montre,
Ne puis-je point alors en toute humilité,
Avec tous les respects dûs à sa qualité,
Pour la remercier de ses humeurs gaillardes,
Lui donner seulement trois ou quatre nasardes ?
Oronte
Alors tu pourras prendre avis de ton courroux ;
Mais c'est ici le lieu de mes deux rendez-vous,
Et je suis fort trompé si je ne vois paroître,
Malgré l'obscurité, Lucie à sa fenêtre.
Cliton, qu'elle me plaît !
Cliton
Mais Lisette encor plus ?
Oronte
Non pas, quant à présent.
Cliton
Vous me rendez confus.
Pour le moins Dorotée…
Oronte
Encor moins que Lisette.
Cliton
Je ne sais donc comment vous avez l'âme faite,
Tout maintenant…
Oronte
Vois-tu ? Dans mon affection
Je me repois fort peu d'imagination.
La Beauté la plus vive et la plus élégante
Ne me chatouille plus sitôt qu'elle est absente.
Mille attraits surprenants pourront m'avoir blessé,
Qu'à trente pas de là c'est autant d'effacé ;
D'un moindre éclat présent mon âme possédée
Ne conserve aucun trait de sa première idée,
Et comme, quelque Objet dont je suive la loi,
Je ne l'aime jamais que pour l'amour de moi,
Mon cœur prend aisément une forme nouvelle,
Et celle que je vois est toujours la plus belle.
Cliton
Donc, Lisette cessant de s'offrir à vos yeux…
Oronte
Celles que je verrois me plairoient beaucoup mieux.
Mais il faut s'avancer, et la voix adoucie,
Montrer un cœur soumis aux charmes de Lucie.
Cliton
Quand vous faites dessein de lui parler si doux,
Vous souvenez-vous bien que vous êtes jaloux ?
Oronte
Tu me fais à propos souvenir de mon rôle,
Je vais sur le plaintif accorder ma parole.
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