ACTE V - Scène II


Tardiveau ; puis Nonancourt, Hélène, Vézinet, Bobin, la noce

Tardiveau (seul, posant son fusil et son schako dans la guérite et mettant un bonnet de soie noire, un cache-nez)
Dieu ! que j'ai chaud ! Voilà pourtant comme on attrape de mauvais rhumes… Ils font un feu d'enfer là-dedans. J'avais beau répéter à Trouillebert : "Trouillebert, vous mettez trop de bûches !…" Ah ben oui ! Et je suis en moiteur… J'aurais presque envie de changer de gilet de flanelle… (Il défait deux ou trois boutons de son habit et s'arrête.)
Non !… il peut passer des dames ! (Etendant la main.)
Ah !… bien !… ah !… très bien !… voilà la pluie qui recommence ! (Il s'enveloppe dans la capote des factionnaires.)
Ah ! parfait ! parfait ! voilà la pluie, à présent ! (Il s'abrite dans la guérite. Toute la noce entre par la gauche, avec des parapluies. Nonancourt tient son myrte. Bobin donne le bras à Hélène. Vézinet n'a pas de parapluie et s'abrite tantôt sous l'un, tantôt sous l'autre : mais les mouvements des personnages le laissent toujours à découvert.)

Nonancourt (entrant le premier avec son myrte.)
Par ici, mes enfants, par ici !… Sautez le ruisseau ! (Il saute, toute la noce suit et saute le ruisseau.)

Chœur
(Air des Deux Cornuchet)
Ah ! vraiment, c'est atroce !
Quelle affreuse noce !
Où donc nous fait-on courir
Quand nous devrions dormir !

Nonancourt
Quelle noce ! quelle noce !

Hélène (regardant autour d'elle.)
Ah ! papa ! Et mon mari ?

Nonancourt
Allons, bon ! nous l'avons encore égaré !

Hélène
Je n'en puis plus !

Bobin
C'est éreintant !

Un Monsieur
Je n'ai plus de jambes.

Nonancourt
Heureusement, j'ai changé de souliers.

Hélène
Aussi, papa, pourquoi avez-vous renvoyé les fiacres ?

Nonancourt
Comment, pourquoi ? trois cent soixante-quinze francs, tu trouves que ce n'est pas assez !… Je ne veux pas manger ta dot en cochers de fiacre !

Tous
Ah çà !… mais… où sommes-nous ici ?

Nonancourt
Le diable m'emporte si je le sais… J'ai suivi Bobin

Bobin
Du tout, mon oncle, c'est nous qui vous avons suivi.

Vézinet (à Nonancourt)
Pourquoi nous a-t-on fait lever si tôt ? Est-ce qu'on va encore s'amuser ?

Nonancourt
La faridondaine, oh ! gai ! (Furieux.)
Ah ! gredin de Fadinard !

Hélène
Il nous a dit d'aller chez lui… place Baudoyer.

Bobin
Nous sommes sur une place.

Nonancourt
Est-elle Baudoyer ? voilà la question ! (À Vézinet qui s'abrite sous son parapluie.)
Dites donc, vous qui êtes de Chaillot, vous devez savoir ça. (Criant.)
Est-elle Baudoyer ?

Vézinet
Oui, oui, joli temps pour les petits pois.

Nonancourt (le quittant brusquement.)
Au sucre !… Tarare pompon… petit patapon ! (Il est près de la guérite.)

Tardiveau (éternuant.)
Atchi !

Nonancourt
Dieu vous bénisse !… Tiens !… une sentinelle… Pardon, sentinelle… la place Baudoyer, s'il vous plaît ?

Tardiveau
Passez au large.

Nonancourt
Merci !… Et pas un passant… pas même un Savoyard d'Auvergnat !

Bobin
À onze heures trois quarts !

Nonancourt
Attendez ! nous allons savoir… (Il frappe à une maison, deuxième plan à droite.)

Hélène
Qu'est-ce que vous faites, papa ?

Nonancourt
Il faut nous informer… On m'a dit que les Parisiens se faisaient un plaisir d'indiquer leur chemin aux étrangers.

Un Monsieur (en bonnet de nuit, en robe de chambre, paraissant à la fenêtre.)
Qu'est-ce que vous demandez, sacrebleu !

Nonancourt
Pardon, monsieur… la place Baudoyer, s'il vous plaît ?

Le Monsieur
Attends ! brigand ! scélérat ! canaille ! (Il verse un pot à l'eau par la fenêtre et ferme. Nonancourt évite l'eau : Vézinet, qui est sans parapluie, la reçoit sur la tête.)

Vézinet
Sac à papier ! j'étais sous la gouttière !

Nonancourt
Ce n'est pas un Parisien… c'est un Marseillais.

Bobin (qui est monté sur une borne, au fond, pour lire le nom de la place.)
Baudoyer !… mon oncle !… Place Baudoyer… nous y sommes.

Nonancourt
Quelle chance !… Cherchons le numéro 8.

Tous
Le voilà… Entrons ! entrons !

Nonancourt
Ah ! sapristi !… pas de portier ! et mon gueux de gendre ne m'a pas donné la clef !

Hélène
Papa, je n'en puis plus… je vais m'asseoir.

Nonancourt (vivement)
Pas par terre, ma fille… nous sommes en plein macadam.

Bobin
Il y a de la lumière dans la maison.

Nonancourt
C'est l'appartement de Fadinard… il sera rentré avant nous… (Il frappe et appelle bruyamment.)
Fadinard, mon gendre !… (Tous appellent avec lui.)
Fadinard !

Tardiveau (à Vézinet)
Un peu de silence, monsieur !

Vézinet (gracieusement.)
Trop honnête, monsieur… je me brosserai à la maison.

Nonancourt (criant)
Fadinard !!!

Bobin
Votre gendre se fiche de nous.

Hélène
Il ne veut pas ouvrir, papa.

Nonancourt
Allons chez le commissaire

Tous
Oui, oui… chez le commissaire.

Chœur
(Air)
Ce genre nous berne !
O ciel ! quelle indignité !
Cherchons la lanterne,
Celle de l'autorité !
Ils remontent.


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