ACTE IV - Scène VI


Vézinet, Nonancourt, Hélène, Bobin, dames de la noce

Vézinet
Encore un invité que je ne connais pas ! Il a sa robe de chambre… Il paraît qu'on va se coucher… Je n'en suis pas fâché !… (Il cherche et regarde dans l'alcôve.)

Nonancourt (revenant, il a son myrte.)
La chambre nuptiale est par là… Mais j'ai réfléchi, j'ai besoin de mon myrte pour mon discours solennel !… (Il le pose sur le guéridon. S'adressant au paravent.)
Rhabillez-vous, mon gendre !… Je vais faire monter la mariée…

Vézinet (qui a regardé sous le lit.)
Pas de tire-bottes ! (Bobin, Hélène et les autres dames paraissent à la porte d'entrée.)

Bobin et les Dames
(Chœur Air de Werther)
C'est l'amour
Dans ce séjour
Qui vous réclame,
Entrez, madame.
Le jour fuit,
Voici la nuit,
Moment bien doux
Pour deux époux !

Hélène (hésitant à entrer.)
Non… je ne veux pas… je n'ose pas…

Bobin
Eh bien, ma cousine, redescendons.

Nonancourt
Silence, Bobin !… Ton rôle de garçon d'honneur expire sur le seuil de cette porte…

Bobin (soupirant)
Hein !

Nonancourt
Entre, ma fille… pénètre sans crainte puérile dans le domicile conjugual…

Hélène (très émue.)
Est-ce que mon mari… est déjà là ?

Nonancourt
Il est dans ce paravent… il se coiffe de nuit.

Hélène (effrayée)
Oh ! je m'en vais…

Bobin
Redescendons, ma cousine…

Nonancourt
Silence Bobin !…

Hélène (très émue.)
Papa… je suis toute tremblante.

Nonancourt
Je le conçois… c'est dans le programme de ta situation… Mes enfants… voici le moment, je crois, de vous adresser quelques paroles bien senties… Allons, mon gendre, passez votre robe de chambre… et venez vous placer à ma dextre.

Hélène (vivement)
Oh ! non, papa !

Nonancourt
Eh bien ! restez dans votre paravent… et veuillez me prêter une religieuse attention. Bobin, mon myrte. (Il fait asseoir Hélène.)

Bobin (le prenant sur le guéridon et le lui donnant en pleurnichant)
Voilà !

Nonancourt (tenant son myrte, et avec émotion.)
Mes enfants !… (Il hésite un moment, puis se mouche bruyamment. Reprenant.)
Mes enfants…

Vézinet (à Nonancourt, et à sa droite.)
Savez-vous où l'on met le tire-bottes ?

Nonancourt (furieux.)
Dans la cave… Allez vous faire pendre !

Vézinet
Merci ! (Il se remet à chercher.)

Nonancourt
Je ne sais plus où j'en étais…

Bobin (pleurnichant.)
Vous étiez à : "Dans la cave… allez vous faire pendre ! "

Nonancourt
Très bien ! (Reprenant, et changeant son myrte de bras.)
Mes enfants… c'est un moment bien doux pour un père, que celui où il se sépare de sa fille chérie, l'espoir de ses vieux jours, le bâton de ses cheveux blancs. (Se tournant vers le paravent.)
Cette tendre fleur vous appartient, ô mon gendre !… Aimez-la, chérissez-la, dorlotez-la… (À part, indigné)
Il ne répond rien, le Savoyard !… (À Hélène.)
Toi, ma fille… tu vois bien cet arbuste… je l'ai empoté le jour de ta naissance… qu'il soit ton emblème !… (Avec une émotion croissante.)
Que ses rameaux toujours verts te rappellent toujours que tu as un père… un époux… des enfants !… que ses rameaux… toujours verts… que ses rameaux… toujours verts… (Changeant de ton, à part)
Va te promener !… j'ai oublié le reste !… (Pendant ce discours, Bobin et les dames ont tiré leurs mouchoirs et sanglotent.)

Hélène (se jetant dans ses bras.)
Ah ! papa !…

Bobin (pleurant)
Que vous êtes bête, mon oncle !…

Nonancourt (à Hélène après s'être mouché.)
J'éprouvais le besoin de t'adresser ces quelques paroles ressenties… Maintenant allons nous coucher.

Hélène (tremblante.)
Papa, ne me quittez pas !

Bobin
Ne la quittons pas !

Nonancourt
Sois paisible, mon ange… J'ai prévu ton émoi… j'ai stipulé quatorze lits de sangle pour les grands parents. Quant aux petits, ils coucheront dans les fiacres…

Bobin
À l'heure !

Vézinet (tenant un tire-bottes à Nonancourt)
Dites donc… j'ai trouvé un tire-bottes…

Nonancourt
Zut !… Va, ma fille ! (Avec un soupir.)
Heue !…

Bobin (soupirant)
Heue !…

Chœur
(Air : Zampa)
Elle a sonné l'heure mystérieuse
Qui du bonheur me garde les secrets.
Qui du bonheur te garde les secrets.
Qui du bonheur vous garde les secrets.
Puisse à jamais l'hymen me rendre heureuse.
Puisse à jamais l'hymen te rendre heureuse.
Puisse à jamais l'hymen vous rendre heureuse.
Et t'épargner les pleurs et les regrets.
Et vous sauver les pleurs et les regrets.
(Les dames emmènent la mariée dans la chambre à la gauche du fond. — Bobin veut s'élancer ; Nonancourt le retient et le fait entrer dans la chambre de droite en lui donnant son myrte. — Vézinet disparaît derrière les rideaux de l'alcôve du fond qui se ferment.)


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