Les Mêmes, Lucile
Lucile (sortant de la gauche)
Bonjour, ma tante ! (S'arrêtant.)
Ah ! quelqu'un !… (Saluant Horace)
Monsieur…
Horace
Mademoiselle…
Madame de Guy
Monsieur… mademoiselle… Comment ! vous ne vous reconnaissez pas ? Horace !… Lucile !…
Horace
La petite Lucile !…
Lucile
Le cousin Tic !…
Horace (il embrasse Lucile)
Ma tante… peut-on ?…
Madame de Guy
Mais certainement !
Horace (embrassant Lucile de nouveau.)
Comme vous avez grandi !
Lucile
Et comme vous avez engraissé !
Horace
Là !… (À sa tante.)
C'est elle qui est dans le vrai ! (Examinant Lucile:)
Comment ! voilà cette petite fille ?…
Madame de Guy
À qui tu as appris à épeler…
Horace
C'est vrai ! B, a ba, b, e be. (À Lucile:)
Et avons-nous fait des progrès ? Savons-nous lire, maintenant ?
Lucile
Couramment !
Horace
Eh bien, pour vous récompenser, mademoiselle, votre professeur vous a rapporté un…
(Il prend un éventail sur le guéridon.)
Lucile
Un éventail chinois ! Oh ! quel admirable travail ! C'est de l'ivoire brodé !
Horace (montrant le plateau que Bernard a disposé sur le guéridon.)
Et notre bonne tante nous offrira le thé ce soir dans ce service de porcelaine.
Lucile et Madame de Guy (allant au fond)
Dieu ! qu'il est joli !
Madame de Guy (à Horace)
Tu as pensé à moi… de si loin ?
(Lucile redescend à gauche.)
Horace
Ah ! ma tante !… on ne sait pas tout ce que le soldat emporte de souvenirs dans son portemanteau ! Vous rappelez-vous cette bonne petite photographie de Nadar… pour laquelle vous ne vouliez pas poser ?…
Madame de Guy
J'ai fini par céder !
Horace
Ne le regrettez pas !… Si vous saviez combien de fois je l'ai regardée… et, en la regardant, je sentais comme un courant d'air frais qui m'arrivait de la France, de la famille !…
Lucile (à part, s'essuyant les yeux.)
Pauvre garçon !
Madame de Guy
Mais finis donc… Tu me fais pleurer !
Horace (gaiement(à sa tante):)
:
Dites donc ! nous sommes entrés ensemble dans Pékin !… mèche allumée !… Vous étiez superbe, ma tante !…
Madame de Guy
Comment ! je suis entrée dans Pékin !…
Horace
En photographie !… Je vous avais roulée dans mes trois chemises, pour vous protéger !…
Madame de Guy
Comment ! tu n'avais que trois chemises ?…
Horace
Et je ne suis revenu qu'avec deux !… Il y a là-bas une blanchisseuse… qui manque de délicatesse… Mais la paix est signée !…
Lucile
Mon cousin, racontez-nous donc ce que vous êtes devenu depuis dix ans.
Madame de Guy
Oui, conte-nous tout cela !…
Horace
Tout ?… Oh ! non ! je vous en raconterai des petits morceaux… (À part.)
À l'usage de la famille !
Madame de Guy va prendre une chaise, la place au milieu du théâtre et y fait asseoir Horace ; puis madame de Guy avance une autre chaise et s'assied près d'Horace: Lucile s'est assise à gauche près d'Horace, sur le petit tabouret.
Madame de Guy
Assieds-toi là, près de moi !
Horace
Je commence : Pour faire une bonne brique, on la met dans le four ; pour faire un bon soldat, on l'envoie en Afrique : j'ai donc débuté par l'Afrique ! Franchement, je n'y ai rien fait de remarquable, je me suis laissé cuire.
Lucile
Eh bien, et les Arabes ?
Horace
Oh ! il n'y a plus rien à faire avec eux… c'est un peuple fatigué… (Avec dédain.)
Ca laboure et ça promène des moutons… Une fois, cependant, je me suis trouvé enfermé dans un petit fortin, avec quinze hommes, sur les limites du Sahara… C'est là qu'il fait chaud, ma tante !… Au fait, vous y étiez !…
Madame de Guy
Moi ?
Horace
Grâce à Nadar !… Nous étions cernés par des tribus ennemies qui rôdaient autour de nous, comme des troupeaux de loups affamés…
Lucile
Ah ! mon Dieu !
Horace
Mais nous les tenions à distance avec une petite pièce de quatre qui semblait les contrarier vivement… Au bout de vingt et un jours, je m'aperçus que nos provisions étaient épuisées : ni pain, ni eau !
Madame de Guy
Ni pain, ni eau !
Horace
Ah ! c'est là que je pensais au bon petit chablis de ma tante, et à la cloyère d'huîtres qu'elle nous offrait au jour de l'an !
Madame de Guy
Pauvre garçon ! tu en auras pour ton déjeuner !
Lucile
Avec du citron.
Horace
Ce n'est pas pour cela que je l'ai dit !… mais j'accepte ! Nous étions sans pain, ni eau… ni tabac !… Cruelle complication ! Heureusement que j'avais dans ma petite troupe un Parisien… et un Parisien dans un régiment, voyez-vous, c'est comme un couplet de vaudeville dans une tragédie… Aussi, quand arrivait l'heure des repas, nous nous serrions le ventre et nous chantions en choeur…
Lucile
Quoi ?
Horace (chantant)
Ah ! il a des bottes ! il a des bottes ! Bastien !
Madame de Guy et Lucile (riant)
Ah ! ah ! ah !
Horace
Je vous assure que ça étonnait bien les Arabes ! Cette invocation fut entendue, car le lendemain une colonne de ravitaillement vint nous dégager ; il était temps !… Nous avions soif depuis vingt-quatre heures.
Madame de Guy (vivement)
Veux-tu boire quelque chose ?
Tous trois se lèvent.
Horace
Oh ! merci ! Depuis, j'ai été me rafraîchir… en Crimée ! Ah ! dame ! là ! c'est une autre température… Impossible de conserver l'eau. Ca devient tout de suite de la place… Aussi, je m'étais mis au rhum !
Lucile
Ah ! s'il est possible !
Horace
Mélangé avec de la neige et un coup de poudre… bien remué !… ça se laisse avaler… ça ne vaut pas les granits savoureux de l'Italie !… Ah ! voilà un pays, l'Italie… Beau ciel ! bon vin ! jolies femmes !
Madame de Guy (toussant pour l'avertir.)
Hum ! hum !
Horace
Ah ! oui ! (À part.)
Coupure !
Lucile
Et les monuments, mon cousin ?
Horace
Magnifiques ! Il y a, à Milan, le café Français… qui est une chose à voir… et que j'ai vue… plusieurs fois !
Madame de Guy
Mais tu ne nous parles pas de tes faits d'armes !…
Lucile
Oh ! oui !… mon cousin !
Madame de Guy
Voyons, combien as-tu pris de drapeaux ?
Horace
Diable ! comme vous y allez !… En Chine, j'en ai ramassé cinq… mais, là, on les cueille, on donne les quatre au cent… Avec MM. les Autrichiens, c'est une autre affaire : un jour, lancé à fond de train, j'en ai touché un du doigt… je croyais le tenir !… lorsque j'ai reçu le plus joli coup de sabre !…
Madame de Guy
Tu as été blessé ?
Lucile
Ah ! mon Dieu !
Horace
Je ne le regrette pas ! Celui qui m'a appliqué ça… était un artiste !… Ah ! sans mon pauvre Bernard, j'étais dans le Moniteur… côté des absents !
Madame de Guy
Bernard ?
Horace
Mon soldat… que j'ai ramené… Il m'a tiré de là au milieu d'une mitraillade !… Tante, je vous le recommande, c'est un ami !
Madame de Guy
Je crois bien ! ce brave garçon !… Qu'est-ce qu'il prend le matin ?… Du chocolat ?
Horace
Non… il préfère une nourriture… plus accentuée !
Lucile (vivement)
Et votre blessure, mon cousin ?
Horace
Oh ! c'est fini ! j'ai été si bien soigné… par une femme… une femme délicieuse !… Figurez-vous…
Madame de Guy (toussant pour l'avertir.)
Hum ! hum !
Horace
Ah ! oui ! (À part.)
Coupure !
Lucile
Horace, je vous remercie de votre récit… et, en vous écoutant, je me suis sentie fière de vous !…
Horace
Il n'y a pas de quoi, cousine !
Lucile
Oh ! si !… j'admire et je comprends cette existence du soldat… ce mélange de souffrance, de gaieté, de courage, de modestie…
Madame de Guy (voulant arrêter sa nièce.)
Lucile !
Horace (à sa tante)
Parbleu ! n'avez-vous pas peur qu'elle ne s'engage ?…
Lucile (tendant la main à Horace)
Je vous le répète Horace, je suis fière de vous !
Horace
Alors, embrassons-nous… au nom de l'armée !
(Il l'embrasse.)
Madame de Guy
Sont-ils enfants !
(Lucile remonte causer avec sa tante.)
Horace, à part, et passant à droite.
Sacrebleu ! elle est gentille, la petite cousine ! elle aime les militaires… et, si jamais je songe à me marier… Il faudra que j'en parle à la tante… Je supprimerais les deux chevaux, voilà tout !
Lucile (achevant une conversation commencée avec madame de Guy.)
Non, ma tante, c'est inutile !
Madame de Guy
Si ! cela se doit !
Horace
Qu'y a-t-il donc ?
Madame de Guy
Mon ami, comme membre de la famille, j'ai à te faire part d'une nouvelle… importante !
Horace
À moi ?… Laquelle ?
Madame de Guy
Il est question d'un mariage pour Lucile:…
Horace
Un mariage ?… Ah ! ma cousine… mademoiselle… recevez mes félicitations…
Lucile (embarassée)
C'est M. Désambois:…
Madame de Guy
Son tuteur, qui a conçu ce projet…
Horace
M. Désambois, je ne connais pas !
Madame de Guy
Un de nos amis… un pharmacien retiré, bien qu'il n'ait que quarante ans… Maintenant il s'occupe de sciences… C'est un esprit très distingué, très sérieux… Il a été choisi comme tuteur de Lucile par le conseil de famille, parce que c'est un homme… très sérieux…
Horace
Et le prétendu ?
Madame de Guy
Nous ne le connaissons pas ! M. Désambois doit nous le présenter aujourd'hui !
Horace
Je vous laisse.
Madame de Guy
Du tout ! tu es de la famille !
Lucile
Et je désire avoir votre avis.
Horace (passant à gauche)
Moi, je ne m'y connais pas ! (À part.)
trop tard ! Voilà ce que c'est que d'aller en Chine !… J'aurai deux chevaux… voilà tout !… C'est dommage !
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...