Scène XII


Mascarille
Ah ! vicomte !

Jodelet (s'embrassant l'un l'autre)
Ah ! marquis !

Mascarille
Que je suis aise de te rencontrer !

Jodelet
Que j'ai de joie de te voir ici !

Mascarille
Baise-moi donc encore un peu, je te prie.

Magdelon
Ma toute bonne, nous commençons d'être connues ; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir.

Mascarille
Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme-ci sur ma parole, il est digne d'être connu de vous.

Jodelet
Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit ; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes.

Magdelon
C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie.

Cathos
Cette journée doit être marquée dans notre almanach comme une journée bienheureuse.

Magdelon (à Alamanzor.)
Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses ? Voyez-vous pas qu'il faut le surcroît d'un fauteuil ?

Mascarille
Ne vous étonnez pas de voir le Vicomte de la sorte ; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez.

Jodelet
Ce sont fruits des veilles de la cour et des fatigues de la guerre.

Mascarille
Savez-vous, mesdames, que vous voyez dans le vicomte un des plus vaillants hommes du siècle ? C'est un brave à trois poils.

Jodelet
Vous ne m'en devez rien, Marquis ; et nous savons ce que vous savez faire aussi.

Mascarille
Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion.

Jodelet
Et dans des lieux où il faisoit fort chaud.

Mascarille (regardant Cathos et Madelon.)
Oui ; mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai.

Jodelet
Notre connoissance s'est faite à l'armée ; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.

Mascarille
Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse ; et je me souviens que je n'étois que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux.

Jodelet
La guerre est une belle chose ; mais, ma foi, la cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous.

Mascarille
C'est ce qui fait que je veux pendre l'épée au croc.

Cathos
Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée.

Magdelon
Je les aime aussi ; mais je veux que l'esprit assaisonne la bravoure.

Mascarille
Te souvient-il, vicomte, de cette demi-lune que nous emportâmes sur les ennemis au siége d'Arras ?

Jodelet
Que veux-tu dire avec ta demi-lune ? C'étoit bien une lune toute entière.

Mascarille
Je pense que tu as raison.

Jodelet
Il m'en doit bien souvenir, ma foi ! j'y fus blessé à la jambe d'un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce, vous sentirez quelque coup, c'étoit là.

Cathos (après avoir touché l'endroit.)
Il est vrai que la cicatrice est grande.

Mascarille
Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci ; là, justement au derrière de la tête. Y êtes-vous ?

Magdelon
Oui je sens quelque chose.

Mascarille
C'est un coup de mousquet que je reçus la dernière campagne que j'ai faite.

Jodelet (découvrant sa poitrine.)
Voici un autre coup qui me perça de part en part à l'attaque de Gravelines.

Mascarille (mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses.)
Je vais vous montrer une furieuse plaie.

Magdelon
Il n'est pas nécessaire nous le croyons sans y regarder.

Mascarille
Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'on est.

Cathos
Nous ne doutons point de ce que vous êtes.

Mascarille
Vicomte, as-tu là ton carrosse ?

Jodelet
Pourquoi ?

Mascarille
Nous mènerions promener ces dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau.

Magdelon
Nous ne saurions sortir aujourd'hui.

Mascarille
Ayons donc les violons pour danser.

Jodelet
Ma foi ! c'est bien avisé.

Magdelon
Pour cela, nous y consentons : mais il faut donc quelque surcroît de compagnie.

Mascarille
Holà ! Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette ! Au diable soient tous les laquais ! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul.

Magdelon
Almanzor, dites aux gens de Monsieur qu'ils aillent querir des violons, et nous faites venir ces messieurs et ces dames d'ici près, pour peupler la solitude de notre bal.
(Almanzor sort.)


Mascarille
Vicomte, que dis-tu de ces yeux ?

Jodelet
Mais toi-même, marquis, que t'en semble ?

Mascarille
Moi, je dis que nos libertés auront peine à sortir d'ici les braies nettes. Au moins, pour moi, je reçois d'étranges secousses, et mon cœur ne tient plus qu'à un filet.

Magdelon
Que tout ce qu'il dit est naturel ! Il tourne les choses le plus agréablement du monde.

Cathos
Il est vrai qu'il fait une furieuse dépense en esprit.

Mascarille
Pour vous montrer que je suis véritable, je veux faire un impromptu là-dessus.
(Il médite.)


Cathos
Hé ! je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur, que nous oyons quelque chose qu'on ait fait pour nous.

Jodelet
J'aurois envie d'en faire autant ; mais je me trouve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés.

Mascarille
Que diable est cela ! Je fais toujours bien le premier vers ; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé ; je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trouverez le plus beau du monde.

Jodelet
Il a de l'esprit comme un démon.

Magdelon
Et du galant, et du bien tourné.

Mascarille
Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as vu la comtesse ?

Jodelet
Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite.

Mascarille
Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à la campagne courir un cerf avec lui ?

Magdelon
Voici nos amies qui viennent.

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