Araminte
Approchez, Dorante ;
Dorante
Je n'ose presque paraître devant vous.
Araminte (à part)
Ah ! je n'ai guère plus d'assurance que lui. (Haut.)
Pourquoi vouloir me rendre compte de mes papiers ? Je m'en fie bien à vous. Ce n'est pas là-dessus que j'aurai à me plaindre.
Dorante
Madame… j'ai autre chose à dire… je suis si interdit, si tremblant, que je ne saurais parler.
Araminte (à part, avec émotion)
Ah ! que je crains la fin de tout ceci !
Dorante (ému)
Un de vos fermiers est venu tantôt, madame.
Araminte (émue)
Un de mes fermiers ?… cela se peut bien.
Dorante
Oui, madame… il est venu.
Araminte (toujours émue)
Je n'en doute pas.
Dorante (ému)
Et j'ai de l'argent à vous remettre.
Araminte
Ah ! de l'argent… nous verrons.
Dorante
Quand il vous plaira, madame, de le recevoir.
Araminte
Oui… je le recevrai… vous me le donnerez. (À part.)
Je ne sais ce que je lui réponds.
Dorante
Ne serait-il pas temps de vous l'apporter ce soir ou demain, madame ?
Araminte
Demain, dites-vous ? Comment vous garder jusque-là, après ce qui est arrivé ?
Dorante (plaintivement)
De tout le reste de ma vie que je vais passer loin de vous, je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux.
Araminte
Il n'y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous m'aimez, et l'on croirait que je n'en suis pas fâchée.
Dorante
Hélas ! madame, que je vais être à plaindre !
Araminte
Ah ! allez, Dorante ; chacun a ses chagrins.
Dorante
J'ai tout perdu ! J'avais un portrait et je ne l'ai plus.
Araminte
À quoi vous sert de l'avoir ? vous savez peindre.
Dorante
Je ne pourrai de longtemps m'en dédommager. D'ailleurs, celui-ci m'aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, madame.
Araminte
Mais vous n'êtes pas raisonnable.
Dorante
Ah ! madame, je vais être éloigné de vous. Vous serez assez vengée ; n'ajoutez rien à ma douleur.
Araminte
Vous donner mon portrait ! songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ?
Dorante
Que vous m'aimez, madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?
Araminte (d'un ton vif et naïf)
Et voilà pourtant ce qui m'arrive.
Dorante (se jetant à ses genoux)
Je me meurs !
Araminte
Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie ; levez-vous, Dorante.
Dorante (se lève, et dit tendrement)
Je ne la mérite pas, cette joie me transporte, je ne la mérite pas, madame. Vous allez me l'ôter ; mais n'importe ; il faut que vous soyez instruite.
Araminte (étonnée)
Comment ! que voulez-vous dire ?
Dorante
Dans tout ce qui s'est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie, et que le portrait que j'ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie d'un domestique qui savait mon amour, qui m'en plaint, qui, par le charme de l'espérance, du plaisir de vous voir, m'a, pour ainsi dire, forcé de consentir à son stratagème ; il voulait me faire valoir auprès de vous. Voilà, madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractère ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l'artifice qui me l'a acquise. J'aime mieux votre haine que le remords d'avoir trompé ce que j'adore.
Araminte (le regardant quelque temps sans parler)
Si j'apprenais cela d'un autre que de vous, je vous haïrais sans doute ; mais l'aveu que vous m'en faites vous-même dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde. Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon cœur n'est point blâmable. Il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu'il a réussi.
Dorante
Quoi ! la charmante Araminte daigne me justifier !
Araminte
Voici le comte avec ma mère, ne dites mot, et laissez-moi parler.
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