Araminte
Qu'y a-t-il donc ? On dirait que vous vous querellez.
Monsieur Remy
Nous ne sommes pas fort en paix, et vous venez très à propos, madame. Il s'agit de Dorante ; avez-vous sujet de vous plaindre de lui ?
Araminte
Non, que je sache.
Monsieur Remy
Vous êtes-vous aperçue qu'il ait manqué de probité ?
Araminte
Lui ? non vraiment. Je ne le connais que pour un homme très estimable.
Monsieur Remy
Au discours que madame en tient, ce doit pourtant être un fripon dont il faut que je vous délivre ; et on se passerait bien du présent que je vous ai fait ; et c'est un impertinent qui déplaît à madame, qui déplaît à monsieur, qui parle en qualité d'époux futur ; et à cause que je le défends, on veut me persuader que je radote.
Araminte (froidement)
On se jette là dans de grands excès. Je n'y ai point de part, monsieur. Je suis bien éloignée de vous traiter si mal. À l'égard de Dorante, la meilleure justification qu'il y ait pour lui, c'est que je le garde. Mais je venais pour savoir une chose, monsieur le comte ; il y a là-bas un homme d'affaires que vous avez amené pour moi. On se trompe apparemment ?
Le Comte
Madame, il est vrai qu'il est venu avec moi ; mais c'est madame Argante…
Madame Argante
Attendez, je vais répondre. Oui, ma fille, c'est moi qui ai prié monsieur de le faire venir pour remplacer celui que vous avez et que vous allez mettre dehors ; je suis sûre de mon fait. J'ai laissé dire votre procureur, au reste ; mais il amplifie.
Monsieur Remy
Courage !
Madame Argante (vivement)
Paix ; vous avez assez parlé. (À Araminte.)
Je n'ai point dit que son neveu fût un fripon. Il ne serait pas impossible qu'il le fût ; je n'en serais pas étonnée.
Monsieur Remy
Mauvaise parenthèse, avec votre permission ; supposition injurieuse et tout à fait hors d'œuvre.
Madame Argante
Honnête homme, soit ; du moins n'a-t-on pas encore de preuves du contraire, et je veux croire qu'il l'est. Pour un impertinent et très impertinent, j'ai dit qu'il en était un, et j'ai raison. Vous dites que vous le garderez ; vous n'en ferez rien.
Araminte (froidement)
Il restera, je vous assure.
Madame Argante
Point du tout ; vous ne sauriez. Seriez-vous d'humeur à garder un intendant qui vous aime ?
Monsieur Remy
Eh ! à qui voulez-vous donc qu'il s'attache ? À vous, à qui il n'a pas affaire ?
Araminte
Mais, en effet, pourquoi faut-il que mon intendant me haïsse ?
Madame Argante
Eh ! non ; point d'équivoque. Quand je vous dis qu'il vous aime, j'entends qu'il est amoureux de vous, en bon français ; qu'il est ce qu'on appelle amoureux ; qu'il soupire pour vous ; que vous êtes l'objet secret de sa tendresse.
Monsieur Remy
Dorante ?
Araminte (riant)
L'objet secret de sa tendresse ! Oh ! oui, très secret, je pense. Ah ! ah ! je ne me croyais pas si dangereuse à voir. Mais dès que vous devinez de pareils secrets, que ne devinez-vous que tous mes gens sont comme lui ? Peut-être qu'ils m'aiment aussi ; que sait-on ? Monsieur Remy, vous qui me voyez assez souvent, j'ai envie de deviner que vous m'aimez aussi.
Monsieur Remy
Ma foi, madame, à l'âge de mon neveu, je ne m'en tirerais pas mieux qu'on dit qu'il s'en tire.
Madame Argante
Ceci n'est pas matière à plaisanterie, ma fille. Il n'est pas question de votre monsieur Remy ; laissons là ce bonhomme, et traitons la chose un peu plus sérieusement. Vos gens ne vous font pas peindre ; vos gens ne se mettent point à contempler vos portraits ; vos gens n'ont point l'air galant, la mine doucereuse.
Monsieur Remy (à Araminte)
J'ai laissé passer le bonhomme à cause de vous, au moins ; mais le bonhomme est quelquefois brutal.
Araminte
En vérité, ma mère, vous seriez la première à vous moquer de moi, si ce que vous dites me faisait la moindre impression. Ce serait une enfance à moi que de le renvoyer sur un pareil soupçon. Est-ce qu'on ne peut me voir sans m'aimer ? Je n'y saurais que faire ; il faut bien m'y accoutumer et prendre mon parti là-dessus. Vous lui trouvez l'air galant, dites-vous ? Je n'y avais pas pris garde, et je ne lui en ferai point un reproche. Il y aurait de la bizarrerie à se fâcher de ce qu'il est bien fait. Je suis d'ailleurs comme tout le monde ; j'aime assez les gens de bonne mine.
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