Les Fausses Confidences
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ACTE III - Scène VIII

Marivaux

ACTE III - Scène VIII

Marton (froidement)
Ne vous pressez pas de le renvoyer, madame. Voilà une lettre de recommandation pour lui, et c'est M. Dorante qui l'a écrite.

Araminte
Comment !

Marton (donnant la lettre au Comte)
Un instant, madame ; cela mérite d'être écouté. La lettre est de monsieur, vous dis-je.
Le Comte lit haut.
"Je vous conjure, mon cher ami, d'être demain sur les neuf heures du matin chez vous. J'ai bien des choses à vous dire ; je crois que je vais sortir de chez la dame que vous savez ; elle ne peut plus ignorer la malheureuse passion que j'ai prise pour elle, et dont je ne guérirai jamais. "

Madame Argante
De la passion ! Entendez-vous, ma fille ?
Le Comte lit.
"Un misérable ouvrier, que je n'attendais, pas est venu ici pour m'apporter la boîte de ce portrait que j'ai fait d'elle. "

Madame Argante
C'est-à-dire que le personnage sait peindre.
Le Comte lit.
"J'étais absent ; il l'a laissée à une fille de la maison. "

Madame Argante (à Marton)
Fille de la maison ; cela vous regarde.
Le Comte lit.
"On a soupçonné que ce portrait m'appartenait. Ainsi, je pense qu'on va tout découvrir, et qu'avec le chagrin d'être renvoyé et de perdre le plaisir de voir tous les jours celle que j'adore…"

Madame Argante
Que j'adore ! ah ! que j'adore !
Le Comte lit.
"J'aurai encore celui d'être méprisé d'elle. "

Madame Argante
Je crois qu'il n'a pas mal deviné celui-là, ma fille.
Le Comte lit.
"Non pas à cause de la médiocrité de ma fortune, sorte de mépris dont je n'oserais la croire capable…"

Madame Argante
Eh ! pourquoi non ?
Le Comte lit.
"Mais seulement du peu que je vaux auprès d'elle, tout honoré que je suis de l'estime de tant d'honnêtes gens. "

Madame Argante
Et en vertu de quoi l'estiment-ils tant ?
Le Comte lit.
"Auquel cas je n'ai plus que faire à Paris. Vous êtes à la veille de vous embarquer, et je suis déterminé à vous suivre. "

Madame Argante
Bon voyage au galant.

Monsieur Remy
Le beau motif d'embarquement !

Madame Argante
Eh bien ! en avez-vous le cœur net, ma fille ?

Le Comte
L'éclaircissement m'en paraît complet.

Araminte (à Dorante)
Quoi ! cette lettre n'est pas d'une écriture contrefaite ? vous ne la niez point ?

Dorante
Madame… ;

Araminte
Retirez-vous. (Dorante sort.)

Monsieur Remy
Eh bien, quoi ? c'est de l'amour qu'il a ; ce n'est pas d'aujourd'hui que les belles personnes en donnent ; et tel que vous le voyez, il n'en a pas pris pour toutes celles qui auraient bien voulu lui en donner. Cet amour-là lui coûte quinze mille livres de rente, sans compter les mers qu'il veut courir ; voilà le mal. Car, au reste, s'il était riche, le personnage en vaudrait bien un autre ; il pourrait bien dire qu'il adore. (Contrefaisant madame Argante)
. Accommodez-vous, au reste ; je suis votre serviteur, madame. (Il sort.)

Marton
Fera-t-on monter l'intendant que monsieur le comte a amené, madame ?

Araminte
N'entendrai-je parler que d'intendant ! Allez-vous-en ; vous prenez mal votre temps pour me faire des questions. (Marton sort.)

Madame Argante
Mais, ma fille, elle a raison. C'est monsieur le comte qui vous en répond ; il n'y a qu'à le prendre.

Araminte
Et moi, je n'en veux point.

Le Comte
Est-ce à cause qu'il vient de ma part, madame ?

Araminte
Vous êtes le maître d'interpréter, monsieur ; mais je n'en veux point.

Le Comte
Vous vous expliquez là-dessus d'un air de vivacité qui m'étonne.

Madame Argante
Mais en effet, je ne vous reconnais pas. Qu'est-ce qui vous fâche ?

Araminte
Tout ; on s'y est mal pris. Il y a dans tout ceci des façons si désagréables, des moyens si offensants, que tout m'en choque.

Madame Argante (étonnée)
On ne vous entend point.

Le Comte
Quoique je n'aie aucune part à ce qui vient de se passer, je ne m'aperçois que trop, madame, que je ne suis pas exempt de votre mauvaise humeur, et je serais fâché d'y contribuer davantage par ma présence.

Madame Argante
Non, monsieur ; je vous suis. Ma fille, je retiens monsieur le comte ; vous allez venir nous trouver apparemment ? Vous n'y songez pas, Araminte ; on ne sait que penser.
(Madame Argante sort avec le comte.)


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