(LE CHEVALIER, HORTENSE, LE MARQUIS, LA COMTESSE.)
Hortense (bas au chevalier.)
Il accepte ma main, mais de mauvaise grâce ; ce n'est qu'une ruse, ne vous effrayez pas.
Le Chevalier (à part.)
Vous m'inquiétez. (Haut.)
Eh bien, madame, il ne me reste plus d'espérance, sans doute ? Je n'ai pas dû m'attendre que monsieur le marquis pût consentir à vous perdre.
Hortense
Oui, chevalier, je l'épouse ; la chose est conclue, et le ciel vous destine à une autre qu'à moi. Le marquis m'aimait en secret, et c'était, dit-il, par distraction qu'il ne me le déclarait pas.
Le Chevalier
Par distraction ! J'entends ; il avait oublié de vous le dire.
Hortense
Oui, c'est cela même ; mais il vient de me l'avouer, et il l'avait confié à madame.
Le Chevalier
Eh ! que ne m'avertissiez-vous, comtesse ? J'ai cru quelquefois qu'il vous aimait vous-même.
La comtesse
Quelle imagination ! À propos de quoi me citer ici ?
Hortense
Il y a eu des instants où je le soupçonnais aussi.
La comtesse
Encore ! Où est donc la plaisanterie, Hortense ?
Le Marquis
Pour moi, je ne dis mot.
Le Chevalier
Vous me désespérez, marquis.
Le Marquis
J'en suis fâché, mais mettez-vous à ma place ; il y a un testament, vous le savez bien ; je ne peux pas faire autrement.
Le Chevalier
Sans le testament, vous n'aimeriez peut-être pas autant que moi.
Le Marquis
Oh ! vous me pardonnerez ; je n'aime que trop.
Hortense
Je tâcherai de le mériter, monsieur. (À part au chevalier.)
Demandez qu'on presse notre mariage.
Le Chevalier (à part à Hortense.)
N'est-ce pas trop risquer ? (Haut.)
Dans l'état où je suis, marquis, achevez de me prouver que mon malheur est sans remède.
Le Marquis
La preuve s'en verra quand je l'épouserai. Je ne peux pas l'épouser tout à l'heure.
Le Chevalier
Vous avez raison. (À part à Hortense.)
Il vous épousera.
Hortense (à part au Chevalier.)
Vous gâtez tout. (Au marquis.)
J'entends bien ce que le chevalier veut dire ; c'est qu'il espère toujours que nous ne nous marierons pas, monsieur le marquis ; n'est-ce pas, chevalier ?
Le Chevalier
Non, madame, je n'espère plus rien.
Hortense
Vous m'excuserez ; vous n'êtes pas convaincu, vous ne l'êtes pas ; et comme il faut, m'avez-vous dit, que vous alliez demain à Paris pour y prendre des mesures nécessaires en cette occasion-ci, vous voudriez, avant que de partir, savoir bien précisément s'il ne vous reste plus d'espoir ? Voilà ce que c'est ; vous avez besoin d'une entière certitude ? (À part, au Chevalier.)
Dites que oui.
Le Chevalier
Mais oui.
Hortense
Monsieur le marquis, nous ne sommes qu'à une lieue de Paris ; il est de bonne heure ; envoyez Lépine chercher un notaire, et passons notre contrat aujourd'hui, pour donner au chevalier la triste conviction qu'il demande.
La comtesse
Mais il me paraît que vous lui faites accroire qu'il la demande ; je suis persuadée qu'il ne s'en soucie pas.
Hortense (à part, au Chevalier.)
Soutenez donc.
Le Chevalier
Oui, comtesse, un notaire me ferait plaisir.
La comtesse
Voilà un sentiment bien bizarre !
Hortense
Point du tout. Ses affaires exigent qu'il sache à quoi s'en tenir ; il n'y a rien de si simple, et il a raison ; il n'osait le dire, et je le dis pour lui. Allez-vous envoyer Lépine, monsieur le marquis ?
Le Marquis
Comme il vous plaira. Mais qui est-ce qui songeait à avoir un notaire aujourd'hui ?
Hortense (à part au chevalier.)
Insistez.
Le Chevalier
Je vous en prie, marquis.
La comtesse
Oh ! vous aurez la bonté d'attendre à demain, monsieur le chevalier ; vous n'êtes pas si pressé ; votre fantaisie n'est pas d'une espèce à mériter qu'on se gêne tant pour elle ; ce serait ce soir ici un embarras qui nous dérangerait. J'ai quelques affaires ; demain il sera temps.
Hortense (à part au chevalier.)
Pressez.
Le Chevalier
Eh ! comtesse, de grâce.
La comtesse
De grâce ! L'hétéroclite prière ! Il est donc bien ragoûtant de voir sa maîtresse mariée à son rival ? Comme monsieur voudra, au reste !
Le Marquis
Il serait impoli de gêner madame ; au surplus, je m'en rapporte à elle ; demain serait bon.
Hortense
Dès qu'elle y consent, il n'y a qu'à envoyer Lépine.
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