La Station Champbaudet
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ACTE III - Scène X

Eugène Labiche

ACTE III - Scène X


MADAME CHAMPBAUDET, puis ARSENE

MADAME CHAMPBAUDET
(seule, tombant assise près de la table, à droite. )
Oh! mes rêves !… mes rêves perdus !…
(Elle sanglote.)

ARSENE
(entrant par la gauche, et la voyant pleurer. )
Elle pleure… Quoi que vous avez,
Madame ?

MADAME CHAMPBAUDET
Rien !

ARSENE
C'est-y M. Tacarel qui vous fait du chagrin ?

MADAME CHAMPBAUDET
L'ingrat! l'infidèle! il m'a aimée pourtant !

ARSENE
Lui? allons donc! il se moquait de vous !

MADAME CHAMPBAUDET
Malheureux !… ne le calomnie pas !… il m'aimait du moins comme une sœur !

ARSENE
Il vous aimait… comme un soldat aime sa guérite!

MADAME CHAMPBAUDET
(se levant. )
Sa guérite ?

ARSENE
Oui… vu qu'il venait uniquement chez vous pour monter sa faction… et attendre le signal de la dame d'au-dessus.

MADAME CHAMPBAUDET
Que dis-tu ?

ARSENE
C'est la bonne d'en haut qui vient de me conter ça… Vous savez bien, la trompette du marchand de robinets ?

MADAME CHAMPBAUDET
Oui…

ARSENE
C'était lui qui soufflait…

MADAME CHAMPBAUDET
Comment ?

ARSENE
Ça voulait dire: "Je suis en bas chez la vieille… (Se reprenant.)
chez la veuve ! J'attends votre signal !"

MADAME CHAMPBAUDET
(outrée. )
Oh ! si cela était !…

ARSENE
Vous savez bien : J'ai du bon tabac.

MADAME CHAMPBAUDET
L'air qui le faisait partir ?

ARSENE
Pardi!… Ça voulait dire: "Mon mari n'y est pas… montez !"

MADAME CHAMPBAUDET
Trahison !… Et l'autre : Marie, trempe ton pain ?

ARSENE
"Mon mari y est… ne montez pas!…" Le plus cocasse, c'est que la bonne a pincé le même signal pour avertir son amoureux… elle tapote aussi!…

MADAME CHAMPBAUDET
Non ! c'est impossible !… tu mens !…

ARSENE
(tirant la trompette de sa poche. )
Tenez ! v'là son instrument !

MADAME CHAMPBAUDET
(saisissant la trompette. )
Donne ! je veux m'assurer par moi-même…
(Elle souffle dans la trompette.)

ARSENE
(machinalement, criant. )
Marchand de robinets!… Tiens, c'est Madame qui trompette…

MADAME CHAMPBAUDET
(écoutant. )
Chut !… rien !… Tu vois bien que c'est une calomnie… il ne s'est pas joué de moi à ce point… (A ce moment, on entend jouer au-dessus l'air de "Marie, trempe ton pain!")
"Marie, trempe ton pain !…"

ARSENE
Paraît que le mari est là-haut !

MADAME CHAMPBAUDET
(furieuse. )
Oh ! je me vengerai !… je me vengerai !… Ah ! il est là-haut !… Eh bien, je vais lui écrire… je vais tout lui apprendre !… (Elle se met à sa table, et écrit vivement.)
"Monsieur, votre femme vous trompe avec mon architecte…"
(Elle continue à écrire.)

ARSENE
(à part. )
Nous allons avoir du grabuge !

MADAME CHAMPBAUDET
(pliant sa lettre et la cachetant d'un coup de poing. )
Voilà ce que c'est !


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