MADEMOISELLE NINA
Encore une jolie acquisition que nous avons faite là.
LETRINQUIER
Il se dégourdira. (Inspectant le salon.)
Voyons si rien ne cloche… si rien n'a l'air affecté… apprêté… (Il range quelques chaises.)
Vous savez ce dont nous sommes convenus ?
MADEMOISELLE NINA
Oui, il faut avoir l'air…
LETRINQUIER
De ne pas avoir l'air… C'est parfaitement ça !…
CAROLINE
(venant de la gauche, deuxième plan, très habillée, fleurs et rubans dans les cheveux, bracelets. )
Ma tante, voulez-vous m'agrafer mon bracelet ?
MADEMOISELLE NINA
Viens, mon enfant !… (Elle remet à LETRINQUIER le sucrier d'argent qu'elle frottait, ainsi que la peau, et agrafe le bracelet de CAROLINE. A son frère:)
Eh bien ! regardez-la !
LETRINQUIER
(frottant machinalement le sucrier et examinant sa fille. )
Toilette simple et sans prétention… Très bien, ma fille!…
CAROLINE
(regardant le salon. )
Mais papa… qui attends-tu donc ce soir?
LETRINQUIER
(à Nina. )
Faut-il lui dire ?
MADEMOISELLE NINA
C'est le plus simple.
LETRINQUIER
Eh bien, ma fille, il s'agit…
MADEMOISELLE NINA
De te présenter un prétendu.
CAROLINE
Ah !
LETRINQUIER
M. Paul Tacarel.
MADEMOISELLE NINA
Architecte.
LETRINQUIER
Qui m'est chaudement recommandé par mon notaire maître Toupineau.
CAROLINE
Est-il brun ou blond?
MADEMOISELLE NINA
(pudiquement. )
Ma nièce !
LETRINQUIER
Maître Toupineau ne s'explique pas sur sa nuance… Voici sa lettre… (Gêné pour ouvrir sa lettre, il passe le sucrier d'argent et la peau à sa fille; elle frotte machinalement. Lisant.)
"Cher M. Letrinquier… je crois avoir enfin trouvé un prétendu pour votre fille, M. Paul Tacarel. Il se présentera ce soir à dix heures chez vous en qualité d'architecte. Je lui ai dit que vous aviez une maison à faire construire."
CAROLINE
Mais vous n'en avez pas.
MADEMOISELLE NINA
Précisément !
LETRINQUIER
C'est une ruse… dans les affaires, on ruse… Je n'ai que des obligations de l'Ouest. (Lisant.)
"M. Tacarel est un garçon sobre, rangé, d'une conduite exemplaire… Il possède un immeuble dont la façade est en pierres de taille, rue de Trévise, n° 17. Le jeune homme ne sait absolument rien… et vous êtes censé ne rien savoir… Brûlez ma lettre!"
MADEMOISELLE NINA
Quelle finesse !
LETRINQUIER
Ah ! ce Toupineau est fin comme un cheveu !… Il ne sait rien… et nous sommes censés ne rien savoir… (A sa fille.)
Tu comprends? Donne-moi le sucrier.
(Il le reprend.)
MADEMOISELLE NINA
De cette façon, nous pourrons l'examiner… l'éplucher…
LETRINQUIER
Tout en causant architecture. J'ai dessiné, sur un morceau de papier, un grand carré au crayon… ce sera le plan de mon terrain.
MADEMOISELLE NINA
Très adroit !
LETRINQUIER
J'ai convoqué tous nos grands-parents pour avoir leur avis… J'ai surtout fait prévenir Théodore. Il est observateur… il a le coup d'œil sûr!…
MADEMOISELLE NINA
Je ne l'ai pas non plus trop mauvais.
LETRINQUIER
Ni moi !
CAROLINE
Ni moi !
LETRINQUIER
Ainsi, gardons-nous de nous trahir… Faisons semblant, tout bêtement, de prendre un petit thé en famille… (A sa fille.)
Et, si je t'adresse, comme par mégarde, quelques frêles questions, ne va pas te troubler…
MADEMOISELLE NINA
Et surtout tiens-toi droite.
LETRINQUIER
Oui! mais sans avoir l'air!… Dix heures! (On sonne au dehors.)
On sonne…
C'est lui, sans doute. (Indiquant le guéridon.)
Mettez-vous là, brodez… du sang-froid… Moi, je vais lire le journal.
(Ils se placent précipitamment, Nina et CAROLINE au guéridon, LETRINQUIER à la droite de la table de gauche, un journal à la main.)
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(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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