(ARLEQUIN, COLETTE)
ARLEQUIN
(, à part.)
Velà une éducation qui m'a coûté bien de la peine ; achevons la vôtre, Mademoiselle. Premièrement, je crois qu'il a raison, quand il vous appelle une mijaurée.
COLETTE
Eh pardi ! il n'y a qu'à dire, je serai pus hardie ; car je me retians à cette heure-ci. Tenez, ce n'était que mon frère qui m'en contait, dame ! ça n'affriole pas. Mais, Monsieur le Chevalier, c'est une autre histoire ; sa mine me plaît ; vous varrez, vous varrez comme ça me démène le cœur. Voulez-vous que je lui dise que je l'aime ? ça me fera biaucoup de plaisir.
ARLEQUIN
Prrrr… comme elle y va ! tout le sang de la famille court la poste ; patience, mon écolière ; je vous disais donc quelque chose…, où en étions-nous ?
COLETTE
À l'endroit où j'étais une mijaurée.
ARLEQUIN
Tout juste, et je concluais… mais je ne conclus plus rien ; j'ajouterai seulement ce qui s'ensuit. Quand les révérences seront faites, vous aurez une certaine modestie, qui sera relevée d'une certaine coquetterie…
COLETTE
Je boutrai une pincée de chaque sorte, n'est-ce pas ?
ARLEQUIN
Fort bien. Vous serez… timide.
COLETTE
Hélas ! pourquoi ?
ARLEQUIN
Timide et galante.
COLETTE
Ah ! j'entends, je boutrai de ça qui ne dit rian et qui n'en pense pas moins.
ARLEQUIN
(, à part.)
L'aimable enfant ! elle entend ce que je lui dis ; et moi, je n'y comprends rien. (Tout haut.)
Le Chevalier continuera ; d'abord il ne sera que poli ; petit à petit il deviendra tendre.
COLETTE
Et moi qui le varrai venir, je m'avancerai à l'avenant.
ARLEQUIN
Elle veut toujours avancer.
COLETTE
Je lui baillerai bonne espérance, et je pardrai mon cœur à proportion que j'aurai le sian.
ARLEQUIN
Ma foi, vous y êtes.
COLETTE
Oh ! laissez-moi faire ; je saurai bien petit à petit manquer de courage, et pis en manquer encore davantage, et pis enfin n'en avoir pus.
ARLEQUIN
Il n'y a plus d'enfants ! Mademoiselle, vous dira-t-il en vous abordant, vous voyez le plus humble des vôtres.
COLETTE
Et moi, je vous remarcie de votre humilité, ce li ferai-je.
ARLEQUIN
Que vous êtes aimable ! qu'on a de plaisir à vous contempler ! ajoutera-t-il, en penchant la tête. Qu'il serait heureux de vous plaire, et qu'un cœur qui vous adore goûterait d'admirables félicités ! Ah ! ma chère Demoiselle, quel tas de charmes ! que d'appas ! que d'agréments ! votre personne en fourmille, ils ne savent où se mettre… Souriez mignardement là-dessus. (Colette sourit.)
Ah, ma déesse ! puis-je espérer que vous aurez pour agréable la tendresse de votre amant ?… Regardez-moi honteusement, du coin de l'œil, à présent.
COLETTE
(, l'imitant.)
Comme ça ?
ARLEQUIN
Bon ! Ah ! qu'est-ce que c'est que cela ? vous me lorgnez d'une manière qui me transporte. Est-ce que vous m'aimeriez ? Répondez. Je ne veux qu'un pauvre peit mot. Soupirez à présent.
COLETTE
Bian fort ?
ARLEQUIN
Non, d'un soupir étouffé.
COLETTE
Ah !
ARLEQUIN
Oh ! après ce soupir-là il deviendra fou, il ne dira plus que des extravagances ; quand vous verrez cela, vous vous rendrez, vous lui direz : je vous aime.
COLETTE
Tenez, tenez, le velà qui viant ; je parie qu'il va me faire repasser ma leçon. Dame ! je sais où il faut me rendre, à cette heure.
ARLEQUIN
Adieu donc ; je vous mets la bride sur le cou. (À part.)
Ouf ! je crois que mon cœur a cru que je parlais sérieusement.
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