(LE CHEVALIER, MADAME DAMIS, BLAISE, CLAUDINE)
LE CHEVALIER
Revenons à nos moutons ; vous savez qui je suis, vous me connaissez depuis longtemps.
BLAISE
Oh qu'oui ! vous ne teniez pas trop de compte de nous dans ce temps-là.
LE CHEVALIER
Oh ! des sottises, j'en ai fait dans ma vie tant et plus ; oublions celle-là. Vous savez donc qui je suis : le cousin Damis avait épousé la cousine. J'ai l'honneur d'être gentilhomme, estimé, personne n'en doute ; je suis dans les troupes, je ferai mon chemin, sandis ! et rapidement, cela s'ensuit. Je n'ai qu'un aîné, le baron de Lydas, un seigneur languissant, un casanier incommodé du poumon ; il faut qu'il meure, et point de lignée ; j'aurai son bien, cela est net. D'un autre côté, voilà Madame Damis, veuve de qualité, jeune et charmante ; ses facultés, vous les savez ; bonne seigneurie, grand château, ancien comme le temps, un peu délabré, mais on le maçonne. Or, elle vient de jeter sur Monsieur Colin un regard, que si le défunt en avait vu la friponnerie, je lui en donnais pour dix ans de tremblement de cœur ; ce regard, vous l'entendez, camarade ?
BLAISE
Oh dame ! noute fils, c'est une petite face aussi bien troussée qu'il y en ait.
LE CHEVALIER
Vous y êtes, et la cousine rougit.
MADAME DAMIS
En vérité, Chevalier, vous êtes un indiscret.
BLAISE
Oh ! il n'y pas de mal à ça, Madame, ça est grandement naturel.
CLAUDINE
Oh ! pour ça, faut avouer que Colin est biau ; n'en dit partout qu'il me ressemble.
MADAME DAMIS
Beaucoup.
LE CHEVALIER
Je le garantis beau, je vous soutiens plus belle.
BLAISE
Oui, oui, Madame est prou gentille, mais je ne voyons rian de ça, moi, car ce n'est que ma femme ; poursuivez.
LE CHEVALIER
Je vous disais donc que Madame a regardé Monsieur Colin, qu'elle le parcourait en le regardant, et semblait dire : que n'êtes-vous à moi, le petit homme ; que vous seriez bien mon fait ! Là-dessus je me suis mis à regarder Mademoiselle Colette ; la demoiselle en même temps a tourné les yeux dessus moi ; tourner les yeux dessus quelqu'un, rien n'est plus simple, ce semble ; cependant du tournement d'yeux dont je parle, de la beauté dont ils étaient, de ses charmes et de sa douceur, de l'émotion que j'ai sentie, ne m'en demandez point de nouvelles, voyez-vous, l'expression me manque, je n'y comprends rien. Est-ce votre fille, est-ce l'Amour qui m'a regardé ? je n'en sais rien ; ce sera ce que l'on voudra ; je parle d'un prodige, je l'ai vu, j'en ai fait l'épreuve, et n'en réchapperai point. Voilà toute la connaissance que j'en ai.
BLAISE
Par la jarnigué ! ça est merveilleux ; mais voyez donc cette petite masque !
CLAUDINE
Ah ! Monsieur Blaise, elle a deux pruniaux bian malins.
BLAISE
Que faire à ça ? ce sont les mians tout brandis.
MADAME DAMIS
De beaux yeux sont un grand avantage.
LE CHEVALIER
Oui, pour qui les porte, j'en conviens ; mais qui les voit en paie la façon, et je me serais bien passé que Monsieur Blaise eût donné copie des siens à sa fille.
BLAISE
Pardi tenez, j'avons quasi regret d'avoir comme ça baillé note mine à nos enfants, pisque ça vous tracasse.
LE CHEVALIER
Homme d'honneur, ce que vous dites est touchant ; mais il est un moyen.
CLAUDINE
Lequeul ?
LE CHEVALIER
Le titre de votre gendre me sortirait d'embarras, par exemple ; et moyennant le nom de bru, la cousine guérirait. Je vous ai dit le mal, je vous montre le remède.
BLAISE
Madame, êtes-vous d'avis que nous les guarissions ?
LE CHEVALIER
Belle-mère, ne bronchez pas ; je me retiens pour votre fille. Ne rebutez pas les descendants que je vous offre, prenez place dans l'histoire.
CLAUDINE
(, à part.)
Queu plaisir ! Oh bian je nous accordons à tout, pourveu que Madame n'aille pas dire que ce mariage n'est pas de niviau avec elle.
BLAISE
Oh, morguenne ! tout va de plain-pied ici, il n'y a ni à monter ni à descendre, voyez-vous.
LE CHEVALIER
Cousine, répondez ; faites voir la modestie de vos sentiments.
MADAME DAMIS
Puisque vous avez découvert ce que je pensais, je n'en ferai plus de mystère ; je souscris à tout ce que vous ferez, on sera content de mes manières. Je suis née simple et sans fierté, et votre fils m'a plu ; voilà la vérité.
LE CHEVALIER
Répondez, beau-père.
BLAISE
Touchez là, mon gendre ; allons, ma bru, ça vaut fait ; j'achèterons de la noblesse, alle sera toute neuve, alle en durera pus longtemps, et soutianra la vôtre qui est un peu usée. Pour ce qui est d'en cas d'à présent, allez prendre un doigt de collation. Madame Claudine, menez-les boire cheux nous, et dites à noute laquais qu'il arrive pour me parler ; je l'attends ici. Faites itou avartir les violoneux, car je veux de la joie.
(Le Chevalier donne la main aux dames, après avoir salué Blaise.)
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