Scène IX


(ARLEQUIN, [COLIN], COLETTE)

ARLEQUIN
Laissez-moi me recueillir un moment. (À part.)
Qu'est-ce que je leur dirai ? je n'en sais rien, car pour du beau monde, je n'en ai vu que dans les rues, en passant ; voilà tout le monde que je sais. N'importe, je me souviens d'avoir vu faire l'amour, j'entendis quelques paroles, en voilà assez. (Tout haut.)
Ah çà, approchez. Comme ainsi soit qu'il n'est rien de si beau que les similitudes, commençons doctement par là. Prenez, Monsieur Colin, que vous êtes l'amant de Mademoiselle Colette ; parlez-lui d'amour, et elle vous répondra ; voyons.

COLIN
(saute de joie.)
Parlez-donc, Mademoiselle, vous velà donc ?

COLETTE
Oui, Monsieur, me voilà ! De quoi s'agit-il ?

COLIN
Il s'agit, Mademoiselle, qu'il y a bian des nouvelles.

COLETTE
Et queulles, Monsieur ?

COLIN
C'est que la biauté de votre parsonne… car il ne faut pas tant de priambule ; et c'est ce qui fait d'abord que je vous veux pour femme. Qu'est-ce qu'ou dites à ça ?

COLETTE
Je dis qu'il en arrivera ce qu'il pourra ; mais que voute discours me hausse la couleur, parce que je n'avons pas la coutume d'entendre prononcer les choses que vous mettez en avant.

ARLEQUIN
Ah ! cela va couci-couci.

COLIN
Ça est vrai, Mademoiselle ; mais vous serez pus accoutumée à la seconde fois qu'à la première, et de fois en fois vous vous y accoutumerez tout à fait. (À Arlequin.)
Fais-je bien ?

ARLEQUIN
J'aperçois quelque chose de rustique dans les dernières lignes de votre compliment.

COLETTE
Mais oui ; il m'est avis qu'il a d'abord galopé de l'amour au mariage.

COLIN
C'est que je suis hâtif ; mais j'irai le pas. Je ne dirai pas que vous serez ma femme ; mais ça n'empêchera pas que je ne sois votre homme.

COLETTE
Eh bian ! le vlà encore embarbouillé dans les épousailles.

COLIN
Morgué ! c'est que cette noce est friande, et mon esprit va toujours trottant enver elle.

ARLEQUIN
Vous avez le goût d'une épaisseur !…

COLIN
Bon, bon ! laissons tout cela ; tenez je m'en vas, je n'aime pas à être à l'école ; je parlerai à l'aventure ; laissez venir Madame Damis ; pisqu'alle est veuve, alle me fera mieux ma leçon que vous. Adieu, mijaurée ; je vous salue, noute magister.


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