(LE FISCAL, BLAISE)
LE FISCAL
Bonjour, maître Blaise.
BLAISE
Serviteur, noute fiscal. Mais appelez-moi Monsieur Blaise ; ça m'appartiant.
LE FISCAL
(, riant.)
Ah ! ah ! ah ! j'entends ; votre fortune a haussé vos qualités. Soit, Monsieur Blaise, je me réjouis de votre aventure ; vos enfants viennent de me l'apprendre ; je vous en fais compliment, et je vous prie en même temps de me donner les cinquante francs que vous me devez depuis un mois.
BLAISE
Ça est vrai, je reconnais la dette ; mais je ne saurais la payer, ça me serait reproché.
LE FISCAL
Comment ! vous ne sauriez me payer ? Pourquoi ?
BLAISE
Parce que ça n'est pas daigne d'une parsonne de ma compétence ; ça me tournerait à confusion.
LE FISCAL
Qu'appelez-vous confusion ? Ne vous ai-je pas donné mon argent ?
BLAISE
Eh bian oui, je ne vais pas à l'encontre ; vous me l'avez baillé, je l'ons reçu, je vous le dois ; je vous ai baillé mon écrit, vous n'avez qu'à le garder ; venez de jour à autre me demander votre dû, je ne l'empêche point ; je vous remettrons, et pis vous revianrez, et pis je vous remettrons, et par ainsi de remise en remise le temps se passera honnêtement ; velà comme ça se fait.
LE FISCAL
Mais est-ce que vous vous moquez de moi ?
BLAISE
Mais, morgué ! boutez-vous à ma place. Voulez-vous que je me parde de réputation pour cinquante chétifs francs ? ça vaut-il la peine de passer pour un je ne sais qui en payant ? Pargué ancore faut-il acouter la raison. Si ça se pouvait sans tourner au préjudice de mon état, je le ferions de bon cœur ; j'ons de l'argent, tenez, en velà. Il m'est bian parmis d'en bailler en emprunt, ça se pratique ; mais en paiement, ça ne se peut pas.
LE FISCAL
(, à part.)
Oh oh, voici mon affaire. Il vous est permis d'en prêter, dites-vous ?
BLAISE
Oh tout à fait parmis.
LE FISCAL
Effectivement le privilège est noble, et d'ailleurs il vous convient mieux qu'à un autre ; car j'ai toujours remarqué que vous êtes naturellement généreux.
BLAISE
(, riant et se rengorgeant.)
Eh eh, oui, pas mal, vous tornez bian ça. Faut nous cajoler, nous autres gros monsieurs ; j'avons en effet de grands mérites, et des mérites bian commodes ; car ça ne nous coûte rian ; an nous les baille, et pis je les avons sans les montrer ; velà toute la çarimonie.
LE FISCAL
Je prévois que vous aurez beaucoup de ces vertus-là, Monsieur Blaise.
BLAISE
(, lui donnant un petit coup sur l'épaule.)
Ça est vrai, Monsieur le fiscal, ça est vrai. Mais, morgué ! vous me plaisez.
LE FISCAL
Bien de l'honneur à moi.
BLAISE
Je ne dis pas que non.
LE FISCAL
Je ne vous parlerai plus de ce que vous me devez.
BLAISE
Si fait da, je voulons que vous nous en parliez ; faut-il pas que je vous amusions ?
LE FISCAL
Comme vous voudrez ; je satisferai là-dessus à la dignité de votre nouvelle condition ; et vous me paierez quand il vous plaira.
BLAISE
Chiquet à chiquet, dans quelques dizaines d'années.
LE FISCAL
Bon bon, dans cent ans ; laissons cela. Mais vous avez l'âme belle, et j'ai une grâce à vous demander, laquelle est de vouloir bien me prêter cinquante francs.
BLAISE
Tenez, fiscal, je sis ravi de vous sarvir ; prenez.
LE FISCAL
Je suis honnête homme ; voici votre billet que je déchire, me voilà payé.
BLAISE
Vous velà payé, fiscal ? jarnigué ! ça est bian malhonnête à vous. Morgué ! ce n'est pas comme ça qu'on triche l'honneur des gens de ma sorte ; c'est un affront.
LE FISCAL
(, riant.)
Ah, ah, ah, l'original homme, avec ses mérites qui ne lui coûteront rien !
L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...
L'Île de la raison, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1727, se déroule sur une île imaginaire gouvernée par la raison et la vérité, où les habitants vivent...
L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...
Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...
Les Fausses Confidences, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1737, met en scène les stratagèmes de l’amour et les jeux de manipulation pour conquérir un cœur. L’histoire suit...