Alcools est un recueil de poèmes publié en 1913 par Guillaume Apollinaire, qui est considéré comme un des précurseurs du surréalisme et un des poètes majeurs de la modernité. L'œuvre explore des thèmes variés qui oscillent entre amour, la mélancolie, les souvenirs, la vie quotidienne et le passage du temps. Apollinaire y donne la parole à une multitude de voix et de sentiments, créant ainsi une mosaïque poétique qui reflète la complexité de l'existence humaine. Les poèmes, souvent libres de toute contrainte formelle, expriment des émotions puissantes, mais également une recherche de modernité à travers les motifs de la ville, de la guerre, de la nature ou encore de l'art.
Un des aspects marquants d'Alcools est l'utilisation de la métaphore et de l'allusion, ce qui enrichit le langage poétique et lui confère une dimension symbolique profonde. Le poète évoque des images instantanées de la vie urbaine, avec des références à Paris, ses monuments et ses espaces, mélangées à des éléments plus mythologiques ou personnels. Apollinaire joue avec les mots, y insérant des jeux de sonorités et de rythmes qui mettent en avant la musicalité de la langue française. La forme libre des vers reflète cette quête de renouveau stylistique, tandis que les poèmes, bien que parfois fragmentés, s'enchaînent pour créer une sensation de flux et de continuité.
Les sentiments amoureux occupent également une place centrale dans Alcools, où l'amour est à la fois exalté et assombri par la nostalgie et la perte. Les rencontres passionnées côtoient le souvenir d'amours disparus, transformant la joie en mélancolie. Ce rapport à l'amour se mêle à une réflexion sur l’identité et le temps qui passe, rendant parfois les moments de bonheur fragiles et éphémères. Apollinaire y aborde aussi la guerre, un sujet particulièrement pertinent à l'époque, évoquant les souffrances et les transformations qu'elle engendre tant sur le plan individuel que collectif.
La nature, elle, est présente de manière plus allusive, servant de toile de fond aux réflexions intérieures du poète et à ses préoccupations existentielles. Les paysages décrits sont souvent empreints de lyrisme, oscillant entre la beauté et la mélancolie. Apollinaire semble chercher un équilibre entre le monde urbain, avec ses bruits et ses tumultes, et un retour à une nature apaisante qui offre réconfort et inspiration. Parfois, cette nature est représentée comme un espace de résistance face à la modernité, un refuge où le poète peut retrouver son essence.
À la fin tu es las de ce monde ancienBergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matinTu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaineIci même les automobiles ont l’air d’être anciennesLa religion seule est...
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu’il m’en souvienneLa joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeureLes mains dans les mains restons face à face Tandis...
À Paul LéautaudEt je chantais cette romance En 1903 sans savoir Que mon amour à la semblance Du beau Phénix s’il meurt un soir Le Matin voit sa renaissanceUn soir de demi-brume à LondresUn voyou qui ressemblait àMon amour vint...
Le pré est vénéneux mais joli en automneLes vaches y paissantLentement s’empoisonnentLe colchique couleur de cerne et de lilasY fleurit tes yeux sont comme cette fleur-làViolâtres comme leur cerne et comme cet automneEt ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonneLes...
À Max JacobVers le palais de Rosemonde au fond du RêveMes rêveuses pensées pieds nus vont en soiréeLe palais don du roi comme un roi nu s’élèveDes chairs fouettées de roses de la roseraieOn voit venir au fond du jardin...
Et l’unique cordeau des trompettes marines
À Mademoiselle Marie LaurencinFrôlée par les ombres des mortsSur l’herbe où le jour s’exténueL’arlequine s’est mise nueEt dans l’étang mire son corpsUn charlatan crépusculaireVante les tours que l’on va faireLe ciel sans teinte est constelléD’astres pâles comme du laitSur les...
Sur la côte du TexasEntre Mobile et Galveston il y aUn grand jardin tout plein de rosesIl contient aussi une villaQui est une grande roseUne femme se promène souventDans le jardin toute seuleEt quand je passe sur la route bordée...
À Maurice RaynalS’étendant sur les côtés du cimetièreLa maison des morts l’encadrait comme un cloîtreÀ l’intérieur de ses vitrinesPareilles à celles des boutiques de modesAu lieu de sourire deboutLes mannequins grimaçaient pour l’éternitéArrivé à Munich depuis quinze ou vingt joursJ’étais...
L’anémone et l’ancolieOnt poussé dans le jardinOù dort la mélancolieEntre l’amour et le dédainIl y vient aussi nos ombresQue la nuit dissiperaLe soleil qui les rend sombresAvec elles disparaîtraLes déités des eaux vivesLaissent couler leurs cheveuxPasse il faut que tu...
À M. Léon BailbyOiseau tranquille au vol inverse oiseauQui nidifie en l’airÀ la limite où notre sol brille déjàBaisse ta deuxième paupière la terre t’éblouitQuand tu lèves la têteEt moi aussi de près je suis sombre et terneUne brume qui...
Dans la Haute-Rue à CologneElle allait et venait le soirOfferte à tous en tout mignonnePuis buvait lasse des trottoirsTrès tard dans les brasseries borgnesElle se mettait sur la paillePour un maquereau roux et roseC’était un juif il sentait l’ailEt l’avait...
À Fernand FleuretOuvrez-moi cette porte où je frappe en pleurantLa vie est variable aussi bien que l’EuripeTu regardais un banc de nuages descendreAvec le paquebot orphelin vers les fièvres futuresEt de tous ces regrets de tous ces repentirsTe souviens-tuVagues poissons...
Vous y dansiez petite filleY danserez-vous mère-grandC’est la maclotte qui sautilleToutes les cloches sonnerontQuand donc reviendrez-vous MarieDes masques sont silencieuxEt la musique est si lointaineQu’elle semble venir des cieuxOui je veux vous aimer mais vous aimer à peineEt mon mal...
Les anges les anges dans le cielL’un est vêtu en officierL’un est vêtu en cuisinierEt les autres chantentBel officier couleur du cielLe doux printemps longtemps après NoëlTe médaillera d’un beau soleilD’un beau soleilLe cuisinier plume les oiesAh ! tombe neigeTombe...
Le 13 juillet 1909En voyant des drapeaux ce matin je ne me suis pas ditVoilà les riches vêtements des pauvresNi la pudeur démocratique veut me voiler sa douleurNi la liberté en honneur fait qu’on imite maintenantLes feuilles ô liberté végétale...
J’ai cueilli ce brin de bruyèreL’automne est morte souviens-t’enNous ne nous verrons plus sur terreOdeur du temps brin de bruyèreEt souviens-toi que je t’attends
Pour que sourie encore une fois Jean-BaptisteSire je danserais mieux que les séraphinsMa mère dites-moi pourquoi vous êtes tristeEn robe de comtesse à côté du DauphinMon cœur battait battait très fort à sa paroleQuand je dansais dans le fenouil en...
La porte de l’hôtel sourit terriblementQu’est-ce que cela peut me faire ô ma mamanD’être cet employé pour qui seul rien n’existePi-mus couples allant dans la profonde eau tristeAnges frais débarqués à Marseille hier matinJ’entends mourir et remourir un chant lointainHumble...
Le soleil ce jour-là s’étalait comme un ventreMaternel qui saignait lentement sur le cielLa lumière est ma mère ô lumière sanglanteLes nuages coulaient comme un flux menstruelAu carrefour où nulle fleur sinon la roseDes vents mais sans épine n’a fleuri...
À Louis DumurDans la plaine les baladinsS’éloignent au long des jardinsDevant l’huis des auberges grisesPar les villages sans églisesEt les enfants s’en vont devantLes autres suivent en rêvantChaque arbre fruitier se résigneQuand de très loin ils lui font signeIls ont...
CHŒURMaraudeur étranger malheureux malhabileVoleur voleur que ne demandais-tu ces fruitsMais puisque tu as faim que tu es en exilIl pleure il est barbare et bon pardonnez-luiLARRONJe confesse le vol des fruits doux des fruits mûrsMais ce n’est pas l’exil que...
Oh ! les cimes des pins grincent en se heurtantEt l’on entend aussi se lamenter l’autanEt du fleuve prochain à grand’voix triomphalesLes elfes rire au vent ou corner aux rafalesAttys Attys Attys charmant et débrailléC’est ton nom qu’en la nuit...
À Louis de Gonzague FrickSirènes j’ai rampé vers vosGrottes tiriez aux mers la langueEn dansant devant leurs chevauxPuis battiez de vos ailes d’angesEt j’écoutais ces chœurs rivauxUne arme ô ma tête inquièteJ’agite un feuillard défleuriPour écarter l’haleine tièdeQu’exhalent contre mes...
La tzigane savait d’avanceNos deux vies barrées par les nuitsNous lui dîmes adieu et puisDe ce puits sortit l’EspéranceL’amour lourd comme un ours privéDansa debout quand nous voulûmesEt l’oiseau bleu perdit ses plumesEt les mendiants leurs AveOn sait très bien...
À Felix FénéonUn ermite déchaux près d’un crâne blanchiCria Je vous maudis martyres et détressesTrop de tentations malgré moi me caressentTentations de lune et de logomachiesTrop d’étoiles s’enfuient quand je dis mes prièresÔ chef de morte Ô vieil ivoire Orbites...
Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneuxEt son bœuf lentement dans le brouillard d’automneQui cache les hameaux pauvres et vergogneuxEt s’en allant là-bas le paysan chantonneUne chanson d’amour et d’infidélitéQui parle d’une bague et d’un cœur que l’on briseOh...
À André BillyLe chapeau à la main il entra du pied droitChez un tailleur très chic et fournisseur du roiCe commerçant venait de couper quelques têtesDe mannequins vêtus comme il faut qu’on se vêteLa foule en tous les sens remuait...
À André DerainLongtemps au pied du perron deLa maison où entra la dameQue j’avais suivie pendant deuxBonnes heures à AmsterdamMes doigts jetèrent des baisersMais le canal était désertLe quai aussi et nul ne vitComment mes baisers retrouvèrentCelle à qui j’ai...
À Paul-Napoléon RoinardJ’ai jeté dans le noble feuQue je transporte et que j’adoreDe vives mains et même feuCe Passé ces têtes de mortsFlamme je fais ce que tu veuxLe galop soudain des étoilesN’étant que ce qui deviendraSe mêle au hennissement...
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flammeÉcoutez la chanson lente d’un batelierQui raconte avoir vu sous la lune sept femmesTordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs piedsDebout chantez plus haut en dansant une rondeQue je n’entende...
Le mai le joli mai en barque sur le RhinDes dames regardaient du haut de la montagneVous êtes si jolies mais la barque s’éloigneQui donc a fait pleurer les saules riverainsOr des vergers fleuris se figeaient en arrièreLes pétales tombés...
Ottomar Scholem et Abraham LoewerenCoiffés de feutres verts le matin du sabbatVont à la synagogue en longeant le RhinEt les coteaux où les vignes rougissent là-basIls se disputent et crient des choses qu’on ose à peine traduireBâtard conçu pendant les...
Mon beau tzigane mon amantÉcoute les cloches qui sonnentNous nous aimions éperdumentCroyant n’être vus de personneMais nous étions bien mal cachésToutes les cloches à la rondeNous ont vus du haut des clochersEt le disent à tout le mondeDemain Cyprien et...
À Jean SèveÀ Bacharach il y avait une sorcière blondeQui laissait mourir d’amour tous les hommes à la rondeDevant son tribunal l’évêque la fit citerD’avance il l’absolvit à cause de sa beautéÔ belle Loreley aux yeux pleins de pierreriesDe quel...
À Marius-Ary LeblondDans la forêt avec sa bandeSchinderhannes s’est désarméLe brigand près de sa brigandeHennit d’amour au joli maiBenzel accroupi lit la BibleSans voir que son chapeau pointuÀ plume d’aigle sert de cibleÀ Jacob Born le mal foutuJuliette Blaesius qui...
À Toussaint LucaLes enfants des morts vont jouerDans le cimetièreMartin Gertrude Hans et HenriNul coq n’a chanté aujourd’huiKikirikiLes vieilles femmesTout en pleurant cheminentEt les bons ânesBraillent hi han et se mettent à brouter les fleursDes couronnes mortuairesC’est le jour des...
Les sapins en bonnets pointusDe longues robes revêtus Comme des astrologuesSaluent leurs frères abattusLes bateaux qui sur le Rhin voguentDans les sept arts endoctrinésPar les vieux sapins leurs aînés Qui sont de grands poètesIls se savent prédestinésÀ briller plus que...
Dans la maison du vigneron les femmes cousentLenchen remplis le poêle et mets l’eau du caféDessus — Le chat s’étire après s’être chauffé— Gertrude et son voisin Martin enfin s’épousentLe rossignol aveugle essaya de chanterMais l’effraie ululant il trembla dans...
Je suis soumis au Chef du Signe de l’AutomnePartant j’aime les fruits je déteste les fleursJe regrette chacun des baisers que je donneTel un noyer gaulé dit au vent ses douleursMon Automne éternelle ô ma saison mentaleLes mains des amantes...
Un aigle descendit de ce ciel blanc d’archangesEt vous soutenez-moiLaisserez-vous trembler longtemps toutes ces lampesPriez priez pour moiLa ville est métallique et c’est la seule étoileNoyée dans tes yeux bleusQuand les tramways roulaient jaillissaient des feux pâlesSur des oiseaux galeuxEt...
Toc toc Il a fermé sa porteLes lys du jardin sont flétrisQuel est donc ce mort qu’on emporteTu viens de toquer à sa porteEt trotte trotteTrotte la petite souris
À PicassoLe printemps laisse errer les fiancés parjuresEt laisse feuilloler longtemps les plumes bleuesQue secoue le cyprès où niche l’oiseau bleuUne Madone à l’aube a pris les églantinesElle viendra demain cueillir les girofléesPour mettre aux nids des colombes qu’elle destineAu...
Lune mellifluente aux lèvres des démentsLes vergers et les bourgs cette nuit sont gourmandsLes astres assez bien figurent les abeillesDe ce miel lumineux qui dégoutte des treillesCar voici que tout doux et leur tombant du cielChaque rayon de lune est...
La dame avait une robeEn ottoman violineEt sa tunique brodée d’orÉtait composée de deux panneauxS’attachant sur l’épauleLes yeux dansants comme des angesElle riait elle riaitElle avait un visage aux couleurs de FranceLes yeux bleus les dents blanches et les lèvres...
IAvant d’entrer dans ma celluleIl a fallu me mettre nuEt quelle voix sinistre ululeGuillaume qu’es-tu devenuLe Lazare entrant dans la tombeAu lieu d’en sortir comme il fitAdieu adieu chantante rondeÔ mes années ô jeunes fillesIINon je ne me sens plus...
Automne malade et adoréTu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraiesQuand il aura neigéDans les vergersPauvre automneMeurs en blancheur et en richesseDe neige et de fruits mûrsAu fond du cielDes éperviers planentSur les nixes nicettes aux cheveux verts et nainesQui...
La chambre est veuveChacun pour soiPrésence neuveOn paye au moisLe patron doutePayera-t-onJe tourne en routeComme un totonLe bruit des fiacresMon voisin laidQui fume un âcreTabac anglaisÔ La VallièreQui boite et ritDe mes prièresTable de nuitEt tous ensembleDans cet hôtelSavons la...
Notre histoire est noble et tragiqueComme le masque d’un tyranNul drame hasardeux ou magiqueAucun détail indifférentNe rend notre amour pathétiqueEt Thomas de Quincey buvantL’opium poison doux et chasteÀ sa pauvre Anne allait rêvantPassons passons puisque tout passeJe me retournerai souventLes...
Hommes de l’avenir souvenez-vous de moiJe vivais à l’époque où finissaient les roisTour à tour ils mouraient silencieux et tristesEt trois fois courageux devenaient trismégistesQue Paris était beau à la fin de septembreChaque nuit devenait une vigne où les pampresRépandaient...