Les Caprices de Marianne
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ACTE SECOND - Scène XX

Alfred de Musset

ACTE SECOND - Scène XX


MARIANNE, OCTAVE.
Octave vient du jardin l'épée à la main et remonte le théâtre jusqu'au fond en regardant de tous côtés.

MARIANNE
Octave ! est-ce vous ?

OCTAVE
C'est moi, Marianne… Célio n'est plus !…

MARIANNE
Célio, dites-vous ? Comment se peut-il ?…

OCTAVE
Il n'est plus !…

MARIANNE
Ô ciel !…
(Elle fait quelques pas du côté du jardin.)

OCTAVE
Il n'est plus !… N'allez pas par là.

MARIANNE
Où voulez-vous que j'aille ? Je suis perdue !… Il faut partir, Octave ; il faut fuir !… Claudio sûrement n'est pas dans la maison ?

OCTAVE
Non ; ils ont pris leurs précautions, et m'ont laissé prudemment seul.

MARIANNE
Je le connais, je suis perdue ; et vous aussi peut-être…Partons ! ils vont revenir, et tout à l'heure…

OCTAVE
Partez si vous voulez, je reste. S'ils doivent revenir, ils me trouveront, et, quoi qu'il advienne, je les attendrai. Je veux veiller près de lui dans son dernier sommeil.

MARIANNE
Mais moi, m'abandonnerez-vous ? Savez-vous à quel danger vous vous exposez, et jusqu'où peut aller leur vengeance ?

OCTAVE
Regardez là-bas, derrière ces arbres, cette petite place sombre, au coin de la muraille : là est couché mon seul ami. Quant au reste, je ne m'en soucie guère.

MARIANNE
Pas même de votre vie… ni de la mienne ?

OCTAVE
Pas même de cela. Regardez là-bas…. Moi seul au monde je l'ai connu. Posez sur sa tombe une urne d'albâtre, couverte d'un long voile de deuil, ce sera sa parfaite image. C'est ainsi qu'une douce mélancolie voilait les perfections de cette âme tendre et délicate. Elle eût été heureuse la femme qui l'eût aimé.

MARIANNE
L'aurait-il défendue si elle avait couru un danger ?

OCTAVE
Oui, sans nul doute, il l'aurait fait ! …Lui seul était capable d'un dévouement sans bornes ; lui seul eût consacré sa vie entière à la femme qu'il aimait, aussi facilement qu'il a bravé la mort pour elle.

MARIANNE
Et vous, Octave, ne le feriez-vous pas ?

OCTAVE
Moi ? Je ne suis qu'un débauché sans cœur ; je n'estime point les femmes ; l'amour que j'inspire est comme celui que je ressens, l'ivresse passagère d'un songe.Ma gaieté est qu'un masque ; mon cœur est plus vieux qu'elle !… Ah ! Je ne suis qu'un lâche ; sa mort n'est point vengée.
(Il jette à terre son épée.)

MARIANNE
Comment aurait-elle pu l'être, à moins de risquer votre vie ? Claudio est trop vieux pour accepter un duel, et trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous.

OCTAVE
Célio m'aurait vengé si j'étais mort pour lui comme il est mort pour moi. Ce tombeau m'appartient ; c'est moi qu'ils ont étendu sous cette froide pierre ; c'est pour moi qu'ils avaient aiguisé leurs épées ; c'est moi qu'ils ont tué !… Adieu la gaieté de ma jeunesse ; l'insouciante folie, la vie libre et joyeuse au pied du Vésuve ! … Adieu les bruyants repas, les causeries du soir, les sérénades sous les balcons dorés ! Adieu Naples et ses femmes, les mascarades à la lueur des torches, les longs soupers à l'ombre des forêts ! … Adieu l'amour et l'amitié !… ma place est vide sur la terre.

MARIANNE
En êtes-vous bien sûr, Octave ? Pourquoi dites-vous : adieu l'amour ?

OCTAVE
Je ne vous aime pas, Marianne ; c'était Célio qui vous aimait ! (FIN)


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