Les Caprices de Marianne
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ACTE SECOND - Scène IX

Alfred de Musset

ACTE SECOND - Scène IX


CLAUDIO, MARIANNE.
Claudio, venant de la droite, est entré un peu avant la sortie d'Octave.

CLAUDIO
Pensez-vous que je sois un mannequin, et que je me promène sur la terre pour servir d'épouvantail aux oiseaux ?

MARIANNE
D'où vous vient cette gracieuse idée ?

CLAUDIO
Pensez-vous qu'un juge criminel ignore la valeur des mots, et qu'on puisse se jouer de sa crédulité comme de celle d'un danseur ambulant ?

MARIANNE
À qui en avez-vous ce soir ?

CLAUDIO
Pensez-vous que je n'ai pas entendu vos propres paroles : "Si cet homme ou son ami se présente à ma porte, qu'on la lui fasse fermer ?" et croyez-vous que je trouve convenable de vous voir converser librement avec lui sous une tonnelle ?

MARIANNE
Vous m'avez vue sous une tonnelle ?

CLAUDIO
Oui, oui, de ces yeux que voilà, sous la tonnelle de ce cabaret ! La tonnelle d'un cabaret n'est point un lieu de conversation pour la femme d'un magistrat, et il est inutile de faire fermer sa porte, quand on se renvoie le dé en plein air avec si peu de retenue.

MARIANNE
Depuis quand m'est-il défendu de causer avec un de vos parents ?

CLAUDIO
Quand un de mes parents est un de vos amants, il est fort bien fait de s'en abstenir.

MARIANNE
Octave, un de mes amants ! Perdez-vous la tête ? Il n'a de sa vie fait la cour à personne.

CLAUDIO
Son caractère est vicieux ; c'est un coureur de tripots.

MARIANNE
Raison de plus pour qu'il ne soit pas, comme vous dites fort agréablement, un de mes amants. — Il me plaît de causer avec Octave sous la tonnelle d'un cabaret.

CLAUDIO
Ne me poussez pas à quelque fâcheuse extrémité par vos extravagances, et réfléchissez à ce que vous faites.

MARIANNE
À quelle extrémité voulez-vous que je vous pousse ? Je suis curieuse de savoir ce que vous feriez.

CLAUDIO
Je vous défendrais de le voir et d'échanger avec lui aucune parole, soit dans la maison, soit dans une maison tierce, soit en plein air.

MARIANNE
Ah ! ah ! vraiment, voilà qui est nouveau !… Octave est mon parent tout autant que le vôtre ; je prétends lui parler quand bon me semblera, en plein air ou ailleurs, et dans notre maison, s'il lui plaît d'y venir.

CLAUDIO
Souvenez-vous de cette dernière phrase que vous venez de prononcer. Je vous ménage un châtiment exemplaire, si vous allez contre ma volonté.

MARIANNE
Trouvez bon que j'aille d'après la mienne, et ménagez-moi ce qui vous plaît. Je m'en soucie comme de cela.

CLAUDIO
Marianne, brisons cet entretien. Ou vous sentirez l'inconvenance de s'arrêter sous une tonnelle, ou vous me réduirez à une violence qui répugne à mon habit.
(Il sort par le fond à droite.)


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