Les Caprices de Marianne
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ACTE SECOND - Scène XI

Alfred de Musset

ACTE SECOND - Scène XI


OCTAVE, MARIANNE.

MARIANNE
Approchez, octave, j'ai à vous parler. J'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit sur le compte de votre ami Célio. Dites-moi, pourquoi ne s'explique-t-il pas lui-même ?

OCTAVE
Par une raison assez simple : — il vous a écrit, et vous avez déchiré ses lettres ; il vous a envoyé quelqu'un, et vous lui avez fermé la bouche ; il vous a donné des concerts, vous l'avez laissé dans la rue. Ma foi, il s'est donné au diable, et on s'y donnerait à moins.

MARIANNE
Cela veut dire qu'il a songé à vous ?

OCTAVE
Oui.

MARIANNE
Eh bien ! parlez-moi de lui.

OCTAVE
Sérieusement ?

MARIANNE
Oui, oui, sérieusement. Me voilà. J'écoute.

OCTAVE
Vous voulez rire ?

MARIANNE
Quel pitoyable avocat êtes-vous donc ? Parlez, que je veuille rire ou non.

OCTAVE
Que regardez-vous à droite et à gauche ? En vérité, vous êtes en colère.

MARIANNE
Je veux me mettre à la mode, Octave, je veux prendre un cavalier servant. N'est-ce pas ainsi que cela s'appelle ? Si je vous ai bien compris tout à l'heure, ne me reprochiez-vous pas, avec votre bouteille, de me montrer trop sévère et d'éloigner de moi ceux qui m'aiment ? Soit, je consens à les entendre. Je suis menacée, je suis outragée, et je vous le demande, l'ai-je mérité ?

OCTAVE
Non, assurément, tant s'en faut.

MARIANNE
Je ne sais ni mentir, ni tromper personne, et c'est justement par cette raison que je ne veux pas être contrainte ; et, Sigisbé ou Patito, quelle femme, en Italie, ne souffre auprès d'elle ceux qui essayent de lui parler d'amour, sans qu'on voie à cela ni crime, ni mensonge ? Vous dites qu'on me donne des concerts et que je laisse les gens dans la rue ? Eh bien, je les y laisserai encore, mais ma jalousie sera entr'ouverte, je serai là, j'écouterai.

OCTAVE
Puis-je répéter à Célio ? …

MARIANNE
Célio ou tout autre, peu m'importe !… Que me conseillez-vous, Octave ? Voyez je m'en rapporte à vous. Eh bien, vous ne parlez pas ? Je vous dis que je le veux… Oui, ce soir même, j'ai envie qu'on me donne une sérénade, et il me plaira de l'entendre. Je suis curieuse de voir si on me défendra.(Lui donnant un nœud de rubans de sa robe.)
Tenez, voilà mes couleurs… Qui vous voudrez les portera !

OCTAVE
Marianne ! quelle que soit la raison qui a pu vous inspirer une minute de complaisance, puisque vous m'avez appelé, puisque vous consentez à m'entendre, au nom du ciel, restez la même une minute encore ; permettez-moi de vous parler.

MARIANNE
Que voulez-vous me dire ?

OCTAVE
Si jamais homme au monde a été digne de vous comprendre, digne de vivre et de mourir pour vous, cet homme est Célio. Je n'ai jamais valu grand'chose, et je me rends cette justice, que la passion dont je fais l'éloge trouve un misérable interprète. Vous, si belle, si jeune ! Si vous saviez quel trésor de bonheur repose en vous ! en lui ! dans cette fraîche aurore de jeunesse, dans cette rosée céleste de la vie, dans ce premier accord de deux âmes jumelles ! Je ne vous parle pas de sa souffrance, de cette douce et tendre mélancolie qui ne s'est jamais lassée de vos rigueurs, et qui en mourrait sans se plaindre. Oui, Marianne, il en mourra. Que puis-je vous dire ? qu'inventerais-je pour donner à mes paroles la force qui leur manque ? Je ne sais pas le langage de l'amour. Regardez dans votre âme ; c'est elle qui peut vous parler de la sienne. Y a t-il un pouvoir capable de vous toucher ? Vous qui savez supplier Dieu, existe-t-il une prière qui puisse rendre ce dont mon cœur est plein ?
(Il se jette à genoux.)

MARIANNE
Relevez-vous, Octave. En vérité, si quelqu'un entrait ici, ne croirait-on pas, à vous entendre, que c'est pour vous que vous plaidez ?

OCTAVE
Marianne ! Marianne ! au nom du ciel, ne souriez pas ! ne fermez pas votre cœur au premier éclair qui l'ait peut-être traversé !

MARIANNE
Êtes-vous sûr qu'il ne me soit pas permis de sourire ?

OCTAVE (se relevant.)
Oui, vous avez raison, je sais tout le tort que mon amitié peut faire. Je sais qui je suis, je le sens ; un pareil langage dans ma bouche a l'air d'une raillerie. Vous doutez de la sincérité de mes paroles ; jamais peut-être je n'ai senti avec plus d'amertume qu'en ce moment le peu de confiance que je puis inspirer.

MARIANNE
Pourquoi cela ? vous voyez que j'écoute. Célio me déplaît ; je ne veux pas de lui. Parlez-moi de quelque autre, de qui vous voudrez.

OCTAVE
Ô femme trois fois femme ! Célio vous déplaît, — mais le premier venu vous plaira. L'homme qui vous aime, qui s'attache à vos pas, qui mourrait de bon cœur sur un mot de votre bouche, celui-là vous déplaît ! il est jeune, beau, riche et digne en tout point de vous ; mais il vous déplaît ! et le premier venu vous plaira !

MARIANNE
Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas.
(Elle entre dans sa maison. La nuit vient par degrés.)


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