(PÉNURI; PUIS MADAME MONTAUDOIN ; PUIS MONTAUDOIN.)
PÉNURI
(seul.)
Et moi qui suis venu pour m'amuser à cette noce !… Montaudoin est lugubre avec ses histoires de
trente-sept sous ; si j'étais à sa place, j'écrirais tous les jours sur mon livre de dépenses : "Item,
pour mon voleur ! trente-sept sous ! " et je n'y penserais plus. Si j'allais interroger la bonne ?
Qu'est-ce qui ballote donc dans ma poche ?… Ah ! c'est mon cadeau de noces ! douze ronds de
serviette, avec cette inscription : "Bon appétit ! " Moi, je voulais offrir une lampe… Modérateur ;
cela cachait un enseignement pour le mari… Mais ma femme m'a dit : "Il vaut mieux donner
quelque chose qui ne dérange pas…" J'ai rédigé aussi quelques vers pour la mariée… C'est
l'usage à Etampes… Je les lirai au moment du contrat… quand je dis que j'ai rédigé… ce n'est pas
tout à fait exact, je les ai empruntés à Champmarteau, notre brigadier, qui les avait commis pour la
fête de ma femme… Ces choses-là, ça se repasse. Il a cela de particulier, notre brigadier, il est
poète !… c'est une bonne fourchette !… qui tourne le vers. J'ai trouvé les siens jolis, je les ai
copiés… et je compte sur un murmure flatteur.
MADAME MONTAUDOIN
(entrant par la gauche, en grande toilette.)
Je crois que cette robe est…
PÉNURI
Frissonnante ! frissonnante !
MADAME MONTAUDOIN
Monsieur Pénuri ! vous êtes arrivé !
PÉNURI
Depuis dix minutes… J'ai déjà embrassé Montaudoin, et si vous voulez me le permettre ?…
MADAME MONTAUDOIN
Bien volontiers ! (Au moment où Pénuri l'embrasse, elle aperçoit la tête de Montaudoin qui passe par la porte entr'ouverte. Elle pousse un cri.)
Ah !
PÉNURI
Quoi ?
MONTAUDOIN
(à la porte de gauche.)
C'est moi !
PÉNURI
Tu arrives bien… j'embrasse ta femme !
MONTAUDOIN
Où est mon épingle ?… Je ne trouve pas mon épingle.
MADAME MONTAUDOIN
Dans la coupe, sur la cheminée.
MONTAUDOIN
Ne vous dérangez pas… Je vais la chercher.
(Il disparaît.)
PÉNURI
Est-ce qu'il entre toujours comme ça, sans se faire annoncer ?
MADAME MONTAUDOIN
Ah ! ne m'en parlez pas !
PÉNURI
Allons-nous bientôt voir apparaître la mariée ? J'ai mon petit cadeau de noce à lui faire.
MADAME MONTAUDOIN
Un cadeau !
PÉNURI
Oh ! il ne faut pas vous monter la tête, il ne s'agit pas de diamants, je suis pour l'utile.
MADAME MONTAUDOIN
(à part.)
Mais j'y songe !… M. Lemartois m'a dit de choisir un ami de la famille, le voilà ! (Haut.)
Monsieur Pénuri !
PÉNURI
Madame ?
MADAME MONTAUDOIN
J'aurais un service… un grand service à vous demander.
PÉNURI
À moi ?
MADAME MONTAUDOIN
Mais, d'abord, puis-je compter sur votre discrétion ?
PÉNURI
Je connais les devoirs d'un gentilhomme !
MADAME MONTAUDOIN
Jurez-moi de ne jamais parler à Montaudoin du secret que je vais vous confier.
(Elle remonte s'assurer que personne ne peut l'entendre.)
PÉNURI
Je le jure ! (À part.)
Est-ce qu'elle lui aurait fait des farces ?
MADAME MONTAUDOIN
Vous saurez donc que j'ai économisé, à l'insu de mon mari, une somme de treize mille cinq cent
cinq francs.
PÉNURI
Je comprends, vous avez fait danser l'anse dans de vastes proportions.
MADAME MONTAUDOIN
C'est peut-être mal… Mais, dans les commencements de notre mariage, Montaudoin avait le goût
de la bâtisse, toutes nos économies passaient en maçonnerie… J'en fus effrayée et, en mère
prévoyante, je résolus alors d'assurer l'avenir de mon enfant !
PÉNURI
Ah ! que c'est bien ! ah ! que c'est bien !
MADAME MONTAUDOIN
Mais, si mon mari venait à se douter… avec son caractère inquiet et soupçonneux, il serait capable
de faire des suppositions… Alors j'ai pensé… que, si vous vouliez… enfin, j'ai compté sur vous.
PÉNURI
Ah ! pour quoi faire, bonne mère ?
MADAME MONTAUDOIN
Mais pour offrir en votre nom, comme cadeau de noce, ces treize mille cinq cent cinq francs,
quand on lira le contrat.
PÉNURI
Comment ?
MADAME MONTAUDOIN
Oh ! ne me refusez pas, je vous en supplie !
PÉNURI
Comment donc ! mais au contraire… Treize mille… (À part.)
C'est pour le coup que je compte sur
un murmure flatteur ! (Haut.)
Mais c'est convenu, avec plaisir !
MADAME MONTAUDOIN
Oh ! que vous êtes bon !
(Elle remonte.)
PÉNURI
(à part.)
Et puis je ne donnerai pas les ronds de serviette… Treize mille cinq cent cinq francs et des vers…
ça me paraît gentil pour un homme qui arrive d'Etampes.
MADAME MONTAUDOIN
(lui remettant la somme en billets de banque.)
Voilà la somme en billets de banque… plus cinq francs.
PÉNURI
Très bien ! je vais les mettre à part. (À lui-même.)
De cette façon je ne donne rien, moi, puisque les
vers sont de Champmarteau, et les treize mille francs de la maman.
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...