(DOM JUAN, SGANARELLE, CHARLOTE)
Dom Juan (, sans voir d'abord Charlote.)
Il n'y faut plus penser, c'en est fait, Sganarelle.
La force entre mes bras alloit mettre la Belle,
Lorsque ce coup de vent, difficile à prévoir,
Renversant notre Barque, a trompé mon espoir.
Si par là de mon feu l'espérance est frivole,
L'aimable Paysanne aisément m'en console,
Et c'est une conquête assez pleine d'appas,
Qui dans l'occasion ne m'échappera pas.
Déjà par cent douceurs j'ai jeté dans son âme
Ces dispositions à bien traiter ma flamme
On se plaît à m'entendre, et je puis espérer
Qu'ici je n'aurai pas longtemps à soupirer.
Sganarelle
Ah, Monsieur, je frémis à vous entendre dire.
Quoi, des bras de la mort quand le Ciel nous retire,
Au lieu de mériter par quelque amendement,
Les bontés qu'il répand sur nous incessamment ;
Au lieu de renoncer aux folles amourettes,
(S'interrompant, en voyant Dom Juan prêt à se fâcher.)
Qui déjà tant de fois… Paix, Coquin que vous êtes.
Monsieur sait ce qu'il fait, et vous ne savez, vous,
Ce que vous dites.
Dom Juan (, apercevant Charlote.)
Ah ! Que vois-je auprès de nous ?
Sganarelle
Qu'est-ce ?
Dom Juan
Tourne les yeux, Sganarelle, et condamne
La surprise où me met cette autre paysanne.
D'où sort-elle ? Peut-on rien voir de plus charmant ?
Celle-ci vaut bien l'autre, et mieux.
Sganarelle (, la regardant.)
Assurément.
Dom Juan
Il faut que je lui parle.
Sganarelle (, à part.)
Autre pièce nouvelle.
Dom Juan
L'agréable rencontre ! Et d'où me vient, la belle,
L'inespéré bonheur de trouver en ces lieux,
Sous cet habit rustique, un chef-d'œuvre des Cieux ?
Charlote
Eh ! Monsieur.
Dom Juan
Il n'est point un plus joli visage.
Charlote
Monsieur.
Dom Juan
Demeurez-vous, ma belle, en ce village !
Charlote
Oui, Monsieur.
Dom Juan
Votre nom ?
Charlote
Charlote, à vous servir,
Si j'en étois capable.
Dom Juan
Ah, je me sens ravir.
(À Sganarelle.)
Qu'elle est belle, et qu'au cœur sa vue est dangereuse !
Pour moi…
Charlote
Vous me rendez, Monsieur, toute honteuse.
Dom Juan (, à Charlote)
Honteuse, d'ouïr dire ici vos vérités !
À Sganarelle.
Sganarelle (, as-tu vu jamais tant de beautés ?)
(À Charlote.)
Tournez-vous, s'il vous plaît.
(À Sganarelle.)
Que sa taille est mignonne !
(À Charlote.)
Haussez un peu la tête.
(À Sganarelle.)
Ah, l'aimable personne
Cette bouche, ces yeux.
(À Charlote.)
Ouvrez-les tout à fait.
Qu'ils sont beaux ! Et vos dents ? Il n'est rien si parfoit.
Ces lèvres ont surtout un vermeil que j'admire,
J'en suis charmé.
Charlote
Monsieur, cela vous plaît à dire,
Et je ne sais si c'est pour vous railler de moi.
Dom Juan
Me railler de vous ! Non, j'ai trop de bonne foi.
(À Sganarelle.)
Regarde cette main plus blanche que l'ivoire, Sganarelle, peut-on…
Charlote
Fi, Monsieur, al est noire
Tout comme je n'sais quoi.
Dom Juan (, à Charlote)
Laissez-la moi baiser.
Charlote
C'est trop d'honneur pour moi, j'n'os'rais vous refuser.
Mais si j'eus su tout ça devant votre arrivée,
Exprès aveu du son je m'la serois lavée.
Dom Juan
Vous n'êtes point encor mariée ?
Charlote
Oh, non pas,
Mais je dois bientôt l'être au fils du grand Lucas.
Il se nomme Piarrot ; c'est ma Tante Phlipote
Qui nous fait marier.
Dom Juan
Quoi, vous, belle Charlote,
D'un simple paysan être la femme ? Non,
Il vous faut autre chose, et je crois tout de bon
Que le Ciel m'a conduit exprès dans ce village,
Pour rompre cet injuste et honteux mariage ;
Car enfin je vous aime, et malgré les jaloux,
Pourvu que je vous plaise, il ne tiendra qu'à vous
Qu'on ne trouve moyen de vous faire paroître
Dans l'éclat des honneurs où vous méritez d'être.
Cet amour est bien prompt, je l'avouerai ; mais quoi ?
Vos beautés tout d'un coup ont triomphé de moi,
Et je vous aime autant, Charlote, en un quart d'heure,
Qu'on aimeroit une autre en six mois.
Charlote
Oui ?
Dom Juan
Je meure,
S'il n'est rien de plus vrai.
Charlote
Monsieur, je voudrois bien
Que ça fût tout com'ça, car vous n'me dites rien
Qui n'me fasse assé z'aise, et j'aurois bien envie
De n'vous mécroire point, mais j'ai toute ma vie
Entendu dire à ceux qui savont bien s'que c'est,
Qu'i n'est point de Monsieus qui ne soient toujou prêt
À tromper queuque fille, à moins qu'al n'y regarde.
Dom Juan
Suis-je de ces gens-là ? Non Charlote.
Sganarelle
Il n'a garde.
Dom Juan
Le temps vous fera voir comme j'en veux user.
Charlote
Aussi je n'voudrois pas me laisser abuser.
Voyez-vous, si j'sis pauvre et native au village,
J'ai d'l'honneur tout autant qu'on en ait à mon âge ;
Et pour tout l'or du monde on n'me pourroit tenter,
Si j'pensois qu'en m'aimant l'en me l'voulût ôter.
Dom Juan
Je voudrois vous l'ôter, moi ? Ce soupçon m'offense.
Croyez que pour cela j'ai trop de conscience,
Et que si vos appas m'ont su d'abord charmer,
Ce n'est qu'en tout honneur que je vous veux aimer.
Pour vous le faire voir, apprenez que dans l'âme
J'ai formé le dessein de vous faire ma femme.
J'en donne ma parole, et pour vous au besoin
L'homme que vous voyez en sera le témoin.
Charlote
Vou m'vouriez épousé, moi ?
Dom Juan
Cela vous étonne ?
Demandez au témoin que mon amour vous donne,
Il me connoît.
Sganarelle (, à Charlote)
Très fort. Ne craignez rien, allez.
Il vous épousera cent fois si vous voulez.
J'en réponds.
Dom Juan
Et bien donc, pour le prix de ma flamme,
Ne consentez-vous pas à devenir ma Femme ?
Charlote
I faudret à ma tante en dire un petit mot,
Pour qu'al en fût contente, al aime bian Piarrot.
Dom Juan
Je dirai ce qu'il faut, et m'en rendrai le Maître.
(Il lui veut prendre la main.)
Touchez-là seulement, pour me faire connoître
Que de votre côté vous voulez bien de moi.
Charlote (, résistant)
J'n'en veux que trop, mais vous ?
Dom Juan
Je vous donne ma foi,
Et deux petits baisers vous vont servir de gage…
Charlote
Oh Monsieu, attendé qu'j'ons fait le mariage.
Après ça, voyez-vous, je vous baiserai tant
Que vou n'erez qu'à dire.
Dom Juan
Ah, me voilà content.
Tout ce que vous voulez, je le veux pour vous plaire,
Donnez-moi seulement votre main.
Charlote
Pourquoi faire ?
Dom Juan
Il faut que cent baisers vous marquent l'intérêt…
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