(SALSBURY, LE COMTE, LADUCHESSE)
SALSBURY
Venez, venez, Madame, on a besoin de vous.
Le Comte veut périr ; raison, justice, gloire,
Amitié, rien ne peut l'obliger à me croire.
Contre son désespoir si vous vous déclarez,
Il cèdera sans doute, et vous triompherez.
Désarmez sa fierté, la victoire est facile.
Accablé d'un arrêt qu'il peut rendre inutile,
Je vous laisse avec lui prendre soin de ses jours,
Et vais voir s'il n'est point ailleurs d'autre secours.
(Il sort.)
LE COMTE
Quelle gloire, Madame, et combien doit l'Envie
Se plaindre du bonheur des restes de ma vie,
Puisque avant que je meure, on me souffre en ce lieu
La douceur de vous voir, et de vous dire adieu ?
Le Destin qui m'abat, n'eût osé me poursuivre,
Si le Ciel m'eût pour vous rendu digne de vivre.
Ce malheur me feroit seul mériter le trépas ;
Il en donne l'Arrêt, je n'en murmure pas.
Je cours l'exécuter, quelque dur qu'il puisse être,
Trop content, si ma mort vous fait assez connoître,
Que jusques à ce jour jamais cœur enflammé
N'avoit, en se donnant, si fortement aimé.
LA DUCHESSE
Si cet amour fut tel que je l'ai voulu croire,
Je le connoîtrai mieux, quand tout à votre gloire
Dérobant votre Tête à vos Persécuteurs,
Vous vivrez redoutable à d'infâmes Flatteurs.
C'est par le souvenir d'une ardeur si parfaite,
Que tremblant des périls où mon malheur vous jette,
J'ose vous demander dans un si juste effroi,
Que vous sauviez des jours que j'ai comptés à moi.
Douceur trop peu goûtée, et pour jamais finie !
J'en faisois vanité, le Ciel m'en a punie.
Sa rigueur s'étudie assez à m'accabler,
Sans que la vôtre encor cherche à la redoubler.
LE COMTE
De mes jours, il est vrai, l'excès de ma tendresse,
En vous les consacrant, vous rendit la maîtresse.
Je vous donnai sur eux un pouvoir absolu,
Et vous l'auriez encor, si vous l'aviez voulu ;
Mais dans uns disgrâce en mille maux fertile,
Qu'ai-je affaire d'un bien qui vous est inutile ?
Qu'ai-je à faire d'un bien que le choix d'un Époux
Ne vous laissera plus regarder comme à vous ?
Je l'aimois pour vous seule, et votre hymen funeste,
Pour prolonger ma vie, en a détruit le reste.
Ah Madame, quel coup ! Si je ne puis souffrir
L'injurieux pardon qu'on s'obstine à m'offrir,
Ne dites point, hélas ! Que j'ai l'âme trop fière.
Vous m'avez à la mort condamné la première,
Et refusant ma grâce, Amant infortuné,
J'exécute l'Arrêt que vous avez donné.
LA DUCHESSE
Cruel, est-ce donc peu qu'à moi-même arrachée,
À vos seuls intérêts je me sois attachée ?
Pour voir jusqu'où sur moi s'étend votre pouvoir,
Voulez-vous triompher encor de mon devoir ?
Il chancelle, et je sens qu'en ses rudes alarmes
Il ne peut mettre obstacle à de honteuses larmes,
Qui de mes tristes yeux s'apprêtant à couler,
Auront pour vous fléchir plus de force à parler.
Quoiqu'elles soient l'effet d'un sentiment trop tendre,
Si vous en profitez, je veux bien les répandre.
Par ces pleurs que peut-être en ce funeste jour
Je donne à la pitié beaucoup moins qu'à l'amour ;
Par ce cœur pénétré de tout ce que la crainte
Pour l'Objet le plus cher y peut porter d'atteinte ;
Enfin par ces serments tant de fois répétés
De suivre aveuglément toutes mes volontés,
Sauvez-vous, sauvez-moi du coup qui me menace.
Si vous êtes soumis, la Reine vous fait grâce.
Sa bonté qu'elle est prête à vous faire éprouver,
Ne veut…
LE COMTE
Ah, qui vous perd, n'a rien à conserver.
Si vous aviez flatté l'espoir qui m'abandonne,
Si n'étant point à moi, vous n'étiez à personne,
Et qu'au moins votre amour moins cruel à mes feux
M'eût épargné l'horreur de voir un autre heureux,
Pour vous garder ce cœur où vous seule avez place,
Cent fois, quoique innocent, j'aurois demandé grâce.
Mais vivre, et voir sans cesse un rival odieux…
Ah Madame, à ce nom je deviens furieux.
De quelque emportement si ma rage est suivie,
Il peut être permis à qui sort de la vie.
LA DUCHESSE
Vous sortez de la vie ? Ah, si ce n'est pour vous,
Vivez pour vos Amis, pour la Reine, pour tous.
Vivez pour m'affranchir d'un péril qui m'étonne ;
Si c'est peu de prier, je le veux, je l'ordonne.
LE COMTE
Cessez, en l'ordonnant, cessez de vous trahir.
Vous m'estimeriez moins, si j'osois obéir.
Je n'ai pas mérité le revers qui m'accable,
Mais je meurs innocent, et je vivrois coupable.
Toujours plein d'un amour dont sans cesse en tous lieux
Le triste accablement paroîtroit à vos yeux,
Je tâcherois d'ôter votre cœur, vos tendresses
À l'heureux… Mais pourquoi ces indignes foiblesses ?
Voyons, voyons, Madame, accomplir sans effroi
Les ordres que le Ciel a donnés contre moi.
S'il souffre qu'on m'immole aux fureurs de l'envie,
Du moins il ne peut voir de taches dans ma vie.
Tout le temps qu'à mes jours il avoit destiné
C'est vous, et mon pays, à qui je l'ai donné.
Votre hymen, des malheurs pour moi le plus insigne,
M'a fait voir que de vous je n'ai pas été digne,
Que j'eus tort quand j'osai prétendre à votre foi,
Et mon ingrat Pays est indigne de moi.
J'ai prodigué pour lui cette vie, il me l'ôte.
Un jour, peut-être, un jour il connoîtra sa faute.
Il verra par les maux qu'on lui fera souffrir…
(Crommer paroît avec de la suite.)
Mais madame, il est temps que je songe à mourir.
On s'avance, et je vois sur ces tristes visages,
De ce qu'on veut de moi, de pressants témoignages.
Partons, me voilà prêt. Adieu, Madame, il faut,
Pour contenter la Reine, aller sur l'échafaud.
LA DUCHESSE
Sur l'échafaud ? Ah Ciel ! Quoi, pour toucher votre âme,
La pitié… Soutiens-moi…
LE COMTE
Vous me plaignez, Madame.
Veuille le juste Ciel, pour prix de vos bontés,
Vous combler de gloire et de prospérités,
Et répandre sur vous tous l'éclat qu'à ma vie,
Par un Arrêt honteux, ôte aujourd'hui l'Envie.
Avancez, je vous suis.
(Il parle à une suivante de la Duchesse.)
Prenez soin de ses jours ;
L'état où je la laisse a besoin de secours.
La pièce "Stilicon" de Thomas Corneille est une tragédie historique en cinq actes qui se déroule dans la Rome antique et met en scène des intrigues politiques, des trahisons, des...
La pièce "Persée et Démétrius" de Thomas Corneille est une tragédie en cinq actes qui explore les thèmes de la rivalité familiale, de l’ambition politique, de la jalousie et des...
La pièce "L'Inconnu" de Thomas Corneille est une comédie en cinq actes où les thèmes de l'amour, des stratagèmes et des quiproquos sont centraux. L'histoire met en scène une veuve,...
La pièce "Les Illustres Ennemis" de Thomas Corneille est une tragédie en cinq actes qui explore des thèmes classiques tels que l'honneur, l'amour contrarié, la vengeance, et les tensions familiales....
La pièce "Le Galant doublé" de Thomas Corneille est une comédie qui repose sur des quiproquos, des déguisements et des intrigues amoureuses. L’histoire tourne autour de Dom Fernand, un jeune...