(LE COMTE D'ESSEX, TILNEY)
LE COMTE
Je dois beaucoup sans doute au souci qui t'amène ;
Mais enfin tu pouvois t'épargner cette peine.
Si l'arrêt qui me perd te semble à redouter,
J'aime mieux le souffrir, que de le mériter.
TILNEY
De cette fermeté souffrez que je vous blâme.
Quoique la mort jamais n'ébranle une grande âme,
Quand il nous la faut voir par des Arrêts sanglants,
Dans son triste appareil approcher à pas lents…
LE COMTE
Je ne cèle point, je croyois que la Reine
À me sacrifier dût avoir quelque peine.
Entrant dans ce Palais, sans peur d'être arrêté,
J'en faisois pour ma vie un lieu de sûreté.
Non qu'enfin, si mon sang a tant de quoi lui plaire,
Je voie avec regret qu'on l'ose satisfaire ;
Mais pour verser ce sang tant de fois répandu,
Peut-être un Échafaud ne m'étoit-il pas dû.
Pour elle il fut le prix de plus d'une victoire ;
Elle veut l'oublier, j'ai regret à sa gloire.
J'ai regret qu'aveuglée elle attire sur soi
La honte qu'elle croit faire tomber sur moi.
Le Ciel m'en est témoin, jamais Sujet fidèle
N'eut pour sa Souveraine un cœur si plein de zèle.
Je l'ai fait éclater en cent et cent combats ;
On aura beau le taire, ils ne le tairont pas.
Si j'ai fait mon devoir quand je l'ai bien servie,
Du moins je méritois qu'elle eût soin de ma vie.
Pour la voir contre moi si fièrement s'armer,
Le crime n'est pas grand de n'avoir pu l'aimer.
Le penchant fut toujours un mal inévitable ;
S'il entraîne le cœur, le sort en est coupable,
Et tout autre, oubliant un si léger chagrin,
Ne m'auroit pas puni des fautes du Destin.
TILNEY
Vos froideurs, je l'avoue, ont irrité la Reine ;
Mais daignez l'adoucir, et sa colère est vaine.
Pour trop croire un orgueil dont l'éclat lui déplaît,
C'est vous-même, c'est vous qui donnez votre Arrêt.
Par vous, dit-on, l'Irlande à l'attentat s'anime.
Que le crime soit faux, il est connu pour crime,
Et quand pou vous sauver elle vous tend les bras,
Sa gloire veut au moins que vous fassiez un pas,
Que vous…
LE COMTE
Ah s'il est vrai qu'elle songe à sa gloire,
Pour garantir son nom d'une tache trop noire,
Il est d'autres moyens où l'Équité consent,
Que de se relâcher à perdre un Innocent.
On ose m'accuser ; que sa colère accable
Des Témoins subornés qui me rendent coupable :
Cecile les entend, et les a suscités.
Raleg leur a fourni toutes leurs faussetés.
Que Raleg, que Cecile, et ceux qui lui ressemblent,
Ces Infâmes sous qui tous les Gens de bien tremblent,
Par la main d'un bourreau, comme ils l'ont mérité,
Lavent dans leur vil sang leur infidélité.
Alors en répandant ce sang vraiment coupable,
La Reine aura fait rendre un Arrêt équitable.
Alors de sa rigueur le foudroyant éclat,
Asservissant sa gloire, aura sauvé l'État.
Mais sur moi, qui maintiens la grandeur souveraine,
Du crime des Méchants faire tomber la peine,
Souffrir que contre moi des Écrits contrefaits…
Non, la Postérité ne le croira jamais.
Jamais on ne pourra se mettre en la pensée,
Que de ce qu'on me doit la mémoire effacée
Ait laissé l'imposture en pouvoir d'accabler…
Mais la Reine le voit, et le voit sans trembler.
Le péril de l'État n'a rien qui l'inquiète.
Je dois être content, puisqu'elle est satisfaite,
Et ne point m'ébranler d'un indigne trépas,
Qui lui coûte sa gloire, et ne l'étonne pas.
TILNEY
Et ne l'étonne pas ! Elle s'en désespère,
Blâme votre rigueur, condamne sa colère.
Pour rendre à son esprit le calme qu'elle attend,
Un mot à prononcer vous coûteroit-il tant ?
LE COMTE
Je crois que de ma mort le coup lui sera rude,
Qu'elle s'accusera d'un peu d'ingratitude.
Je n'ai pas, on le sait, mériter mes malheurs,
Mais le temps adoucit les plus vives douleurs.
De ses tristes remords si ma perte est suivie,
Elle souffriroit plus à me laisser la vie.
Faible à vaincre ce cœur qui lui devient suspect,
Je ne pourrois pour elle avoir que du respect.
Tout rempli de l'Objet qui s'en est rendu maître,
Si je suis criminel, je voudrois toujours l'être,
Et sans doute il est mieux qu'en me privant du jour,
Sa haine, quoique injuste, éteigne son amour.
TILNEY
Quoi, je n'obtiendrai rien ?
LE COMTE
Tu redoubles ma peine,
C'est assez.
TILNEY
Mais enfin que dirai-je à la Reine ?
LE COMTE
Qu'on vient de m'avertir que l'échafaud est prêt,
Qu'on doit dans un moment exécuter l'Arrêt,
Et qu'innocent d'ailleurs, je tiens cette mort chère,
Qui me fera bientôt cesser de lui déplaire.
TILNEY
Je vais la retrouver ; mais encor une fois,
Par ce que vous devez…
LE COMTE
Je sais ce que je dois.
Adieu, puisque ma gloire à ton zèle s'oppose,
De mes derniers moments souffre que je dispose.
Il m'en reste assez peu, pour me laisser au moins
La triste liberté d'en jouir sans Témoins.
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