Célimare ; puis Vernouillet
Célimare
(seul.)
Il dit qu'il est franc… je le trouve malhonnête, moi. Il me considère comme un fruit sec de la galanterie… c'est à pouffer de rire : j'avais bien envie de lui ouvrir ce petit coffret… (Il l'ouvre et y prend des lettres.)
Les lettres de madame Vernouillet… Cette pauvre Héloïse. (Montrant les lettres.)
Ceci représente cinq ans d'une passion… C'était une saisissante Bordelaise… mariée à un vieux bonhomme sans éclat ; elle n'avait qu'un défaut… mais un défaut terrible… Comme tous ceux de Bordeaux, elle aimait les champignons… et elle croyait les connaître, la malheureuse ! Si bien que, tous les dimanches, nous partions de Paris le matin, elle, son mari… et un petit panier… et nous allions dans le bois de Meudon herboriser des vénéneux… Elle s'écriait : "Ah ! voilà un cèpe ! ah ! voilà une oronge ! " et elle fourrait tout ça, dans son petit panier… Vernouillet nous suivait de loin, de très loin… c'était charmant… Le soir, on me retenait à dîner. Inutile de dire que je ne touchais pas à cette affreuse fricassée, assaisonnée à l'huile et à l'ail… Certainement, je ne suis pas plus poltron qu'un autre, mais je n'aime pas dîner avec de la mort-aux-rats… Je reprenais du bœuf, et comme j'avais raison !… Un soir, à onze heures, elle me dit : "À demain !…" et, à minuit, j'étais veuf. (Se reprenant.)
Vernouillet était veuf… Cet événement changea mes petites habitudes… je ne savais plus que faire de mes soirées… C'est alors que je songeais aux Bocardon… pour m'étourdir… Pauvre Héloïse ! elle avait un style charmant. (Prenant une lettre et lisant avec attendrissement.)
"Mon cher ami… n'apportez pas de melon… mon mari en a reçu de la campagne. " (Parlé.)
Elle pensait à tout. Quelle femme ! (Prenant une autre lettre et lisant.)
"Mon cher ami, c'est demain la fête de M. Vernouillet, n'oubliez pas de venir avec un bouquet. " (Parlé.)
Et j'arrivais le lendemain avec mon bouquet etmon compliment… comme un collégien… L'ai-je assez gâté, ce mari-là ! je le mettais dans du coton… je faisais ses courses le matin… le soir sa partie de dominos. Tous les jours à quatre heures, j'allais le prendre à son bureau… Un jour, il eut mal aux reins… et… non… je l'ai frictionné… Seulement… elle me savait gré de ces petites attentions… un regard bien senti venait me payer de tous mes sacrifices… Allons, c'est bête de s'attendrir, mettons tout cela au feu…
Pitois
(annonçant.)
M. Vernouillet.
Célimare
(à part.)
Le mari !
(Il replace vivement les lettres dans le coffret, qu'il referme et dont il cache la clef dans la poche de son gilet.)
Vernouillet
(entrant du fond.)
Vous êtes seul ?
Célimare
(lui offrant une chaise.)
Oui.
Vernouillet
(dépose son chapeau sur une chaise à droite, et s'assied près de Célimare poussant un soupir.)
Ah !…
Célimare
(assis et poussant un soupir.)
Ah !
(Ils se serrent la main.)
Vernouillet
Enfin, que voulez-vous ? nous n'y pouvons rien.
Célimare
qui avait un air gai, prend une mine triste.
Mon Dieu… non… nous n'y pouvons rien. (À part.)
Il me retarde pour m'habiller.
Vernouillet
Célimare :… vous ne venez plus me prendre à mon bureau… je vous attends tous les jours jusqu'à quatre heures un quart… je me dis : "Il va venir ! " et vous ne venez pas.
Célimare
Excusez-moi… mes occupations…
Vernouillet
Célimare, je le vois bien, vous ne m'aimez plus comme autrefois.
Célimare
(lui prenant la main.)
Oh !… cher ami… quelle idée !
Vernouillet
Qu'est-ce que je vous ai fait ?
Célimare
Rien !… mais je vais me marier… et vous comprenez… les courses… les démarches…
Vernouillet
J'étais habitué à vous voir tous les jours, et maintenant c'est à peine si je vous aperçois… de loin en loin…
Célimare
Ah ! je suis allé chez vous la semaine dernière…
Vernouillet
Vous n'êtes resté que cinq minutes…
Célimare
J'étais pressé…
Vernouillet
Autrefois, vous passiez toutes vos soirées à la maison… nous faisions, le domino…
Célimare
(à part.)
S'il croit que ça va continuer !
Vernouillet
Certainement… quand j'ai perdu ma femme… ça m'a fait de la peine… mais je me disais : "Célimare me reste. "
Célimare
lui serrant de nouveau la main.
Ah ! cher ami, cher ami… (À part.)
Il est un peu ennuyeux !
Vernouillet
Lorsque vous m'avez fait part de votre mariage… je me suis dit : "Tant mieux, cela me fera un intérieur…"
Célimare
Ah !
Vernouillet
"Il venait chez moi… j'irai chez lui…" Mais je vois bien que c'est un rêve… vous ne m'aimez plus !
Célimare
Vernouillet, voyons, Vernouillet, pas d'enfantillages.
Vernouillet
(se levant.)
Ainsi, dernièrement, vous m'avez froissé… cruellement froissé.
Célimare
(il se lève.)
Moi ?…
Vernouillet
Vous ne m'avez même pas invité à votre repas de noce.
Célimare
J'y ai pensé… mais vous êtes dans les larmes.
Vernouillet
Je suis dans les larmes… c'est vrai… mais on ne peut pas toujours pleurer… Voilà six mois.
Célimare
Six mois, déjà !…
Vernouillet
Mon Dieu, oui… comme le temps passe !…
Célimare
Mais, cher ami, du moment que vous y consentez, je vous invite… je compte sur vous !
Vernouillet
(s'épanouissant.)
Vrai ? eh bien, je vais vous prouver que je ne suis point ingrat.
(Il cherche des papiers dans sa poche.)
Célimare
(à part.)
Et ma belle-mère qui m'a bien recommandé de n'inviter personne… on ne tient que seize dans la salle à manger… et nous sommes déjà dix-huit… mais bah ! un de plus… un de plus !
(Il sourit.)
Vernouillet
(ouvrant un papier.)
J'ai pensé à vous ce matin.
Célimare
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Vernouillet
Quelques couplets que je me suis amusé à griffonner à votre intention.
Célimare
Comment ! vous avez songé ?… ah ! que c'est aimable !
Vernouillet
C'est sur un air connu, un air que ma pauvre femme aimait à chanter quelquefois. (Il soupire.)
Ah !
Célimare
(lui prend la main et poussant un soupir.)
Ah !…
Vernouillet
Enfin, que voulez-vous ! nous n'y pouvons rien !…
Fredonnant très gaiement.
Gai, gai, mariez-vous !
Célimare
Jeunes filles
Et bons drilles…
Vernouillet
(parlé)
Vous y êtes.
(Chantant.)
Gai, gai, mariez-vous !
C'est un usage
Fort sage.
Gai, gai, mariez-vous,
Le mariage est si doux !
Notre ami, qui se marie,
Est la crème des amis !
(Ils se donnent la main.)
Il sera, je le parie,
La crème aussi des maris.
Gai, gai,
Etc.
Célimare
Très joli… mais vous deviez… Vous n'êtes pas dans l'air. (Prenant le papier.)
Permettez… Deuxième couplet.
(Chantant.)
Sa moitié plaît à la ronde.
Vernouillet
(radieux)
(parlé)
C'est pour Madame.
Célimare
(chantant)
L'époux plaît également.
Vernouillet(parlé)
.
C'est pour vous.
Célimare
(chantant.)
Ces deux moitiés dans le monde
Doivent faire un tout charmant.
Vernouillet(très gaiement) (parlé)
Et tout le monde reprend
(Chantant.)
Gai, gai, mariez-vous !
Ensemble
C'est un usage
Fort sage
Gai, gai, mariez-vous,
Le mariage est si doux !
Vernouillet
(tristement.)
Comme Héloïse enlevait ça… la fin, surtout. (Il soupire.)
Ah !…
Célimare
(lui prenant la main et poussant un soupir.)
Ah !…
Vernouillet
Enfin… nous n'y pouvons rien… Je cours m'habiller, et je reviens vous prendre.
(Il se dirige vers le fond.)
Célimare
C'est pour onze heures.
Vernouillet
Soyez tranquille.
(Il sort en fredonnant, Célimare le reconduit et chante aussi.)
Vernouillet et Célimare
Gai, gai, mariez-vous,
Etc.
Vernouillet
(sortant.)
Enfin, que voulez-vous !…
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