Louison
-
ACTE PREMIER - Scène V

Alfred de Musset

ACTE PREMIER - Scène V


(LA MARÉCHALE, LE DUC, LA DUCHESS, , LISETTE, DANS LE FOND.)

LE DUC
Vous ne venez donc pas à l'Opéra, ma chère ?

LA DUCHESSE
Non, monsieur, pas ce soir.

LE DUC
Pourquoi pas ?

LA DUCHESSE
Pour quoi faire ?

LE DUC
C'est une fête où va tout ce qui touche au roi.

LA DUCHESSE
Une fête ? pour qui ?

LE DUC
Pour nous.

LA DUCHESSE
Non pas pour moi.

LA MARÉCHALE
Vos querelles, mon fils, me font mourir de rire.(À Lisette, qui veut sortir.)
Lisette, demeurez ; j'ai deux mots à vous dire.

LE DUC
Riez, si vous voulez, madame, à vous permis ; Vous ne me ferez pas du tout changer d'avis. Non, je ne conçois pas, sur quoi que l'on se fonde, Cette obstination à s'exiler du monde, Cette rage de vivre au fond d'un vieil hôtel, De bouder le plaisir comme un péché mortel, Et de rester à coudre une tapisserie, Quand tout Paris se masque, et quand je vous en prie.

LA DUCHESSE
Je ne veux rien qui soit contre votre désir ; Monsieur, je suis souffrante, et je ne puis sortir.

LE DUC
Bon ! souffrante, c'est là votre excuse ordinaire.

LA MARÉCHALE
Mais s'il est vrai, mon fils…

LE DUC
Il n'en est rien, ma mère. Souffrante ! voilà bien le grand mot féminin. Mais l'étiez-vous hier ? le serez-vous demain ? Non, vous l'êtes ce soir, et qu'avez-vous, de grâce ? Un mal qui vous arrive aussi vite qu'il passe, Des vapeurs, sûrement. La belle invention !

LA DUCHESSE
L'exigez-vous, monsieur ? J'obéis.

LE DUC
Mon Dieu, non. Exiger ! — Obéir ! — Le bon Dieu vous bénisse ! Dirait-on pas vraiment qu'on vous traîne au supplice ?

LA MARÉCHALE(au duc.)
Ne la chagrinez pas. — Pour l'égayer un peu, Nous ferons un piquet ce soir au coin du feu.

LA DUCHESSE
Permettez-vous, monsieur ?

LE DUC
Certainement.(À part.)
J'enrage. Voila mes projets morts. — Quel ennui ! Quel dommage ! Lisette, j'en suis sûr, en a le cœur navré ; Mais, avant de sortir, je la retrouverai. Le diable est donc logé dans la tête des femmes !(Haut.)
Allons ! j'irai donc seul. — À votre jeu, mesdames. Holà ! Jasmin ! Lafleur ! Des cartes, des flambeaux ! Vite ! — Je vous souhaite un millier de capots, De pics et de repics, et de quintes majeures. Combien un si beau jeu doit abréger les heures !

LA MARÉCHALE
Un bon piquet, mon fils, n'est point à dédaigner ; Le roi l'aime.

LE DUC
Le roi… ferait mieux de régner.

LA DUCHESSE
On joue aussi, monsieur, quelquefois chez la reine.

LE DUC
Jouez donc. Mais, morbleu ! ce n'est guère la peine D'avoir un nom, du bien, de l'esprit et vingt ans, Et ce visage-là, pour perdre ainsi son temps. Vraiment la patience en devient malaisée. Pourquoi donc, s'il vous plaît, vous avoir épousée ? Pourquoi donc êtes-vous jeune et faite à ravir ? À quoi bon tout cela, pour ne pas s'en servir ? Que faites-vous d'avoir cent mille écus de rente, Et, comme Trissotin, un carrosse amarante, Et quatre grands chevaux qui se meurent d'ennui, Pour vivre hier, demain, toujours, comme aujourd'hui ? À quoi bon, dites-moi, cette taille élégante, Cet air et ce regard ?… car vous seriez charmante ! Je suis votre mari, mais, quand c'est arrivé, J'avais sur votre compte étrangement rêvé ; Oui, ne vous en déplaise, et je vous le confesse. Le feu roi dans sa cour montrait bien sa maîtresse, Et de ses courtisans un murmure flatteur Parfois, n'en doutez pas, lui fit plaisir au cœur. Moi, duc, et votre époux, n'ai-je donc pu me croire, En vous montrant aussi, le droit d'en tirer gloire ? Quand de m'appartenir vous m'avez fait l'honneur, Ne puis-je donc avoir l'orgueil de mon bonheur ? Vous étiez belle et noble, et je vous tiens pour telle. À quoi sert d'être noble, à quoi sert d'être belle, Si vous ne savez pas marcher avec fierté Et dans cette noblesse et dans cette beauté ? Si vous ne savez pas monter dans votre chaise, Dans un panier doré vous étendre à votre aise, Et, lorsque devant vous l'huissier crie un grand nom, Le bonnet sur l'oreille entrer à Trianon ? Ma foi, je vous croyais d'un autre caractère ; Je croyais sans déchoir, qu'on pouvait daigner plaire ; Je vous jugeais moins sage, et ne m'attendais pas Qu'en me donnant la main vous compteriez vos pas. Je m'en vais me vêtir ; adieu.(À sa mère.)
Bonsoir, madame.


Autres textes de Alfred de Musset

Un caprice

Un caprice, comédie en un acte écrite par Alfred de Musset en 1837, explore les subtilités des sentiments et les jeux d’amour dans un cadre bourgeois. L’histoire met en scène...

On ne saurait penser à tout

On ne saurait penser à tout, comédie en un acte écrite par Alfred de Musset en 1849, explore les petites absurdités de la vie conjugale et les quiproquos liés aux...

On ne badine pas avec l'amour

On ne badine pas avec l’amour, drame en trois actes écrit par Alfred de Musset en 1834, raconte une histoire d'amour tragique où les jeux de séduction et de fierté...

Lorenzaccio

Lorenzaccio, drame romantique écrit par Alfred de Musset en 1834, raconte l’histoire de Lorenzo de Médicis, surnommé Lorenzaccio, un jeune homme partagé entre ses idéaux de liberté et le cynisme...

Les Caprices de Marianne

Les Caprices de Marianne, drame romantique en deux actes écrit par Alfred de Musset en 1833, explore les tourments de l'amour non partagé et les jeux de séduction dans la...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025