Louison
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ACTE PREMIER - Scène IV

Alfred de Musset

ACTE PREMIER - Scène IV


(LISETTE, BERTHAUD.)

BERTHAUD
C'est moi.

LISETTE
Qui, toi ?

BERTHAUD
Berthaud.

LISETTE
Berthaud ? Que nous veux-tu ?

BERTHAUD
Moi ? Rien.

LISETTE
Tu n'es qu'un sot. On n'entre pas ainsi que l'on ne vous appelle.

BERTHAUD
Oh ! mam'selle Louison, comme vous êtes belle ! Comme vous voilà propre et de bonne façon !

LISETTE
Que dis-tu donc, l'ami ? — Je connais ce garçon.

BERTHAUD
Quels beaux tire-bouchons vous avez aux oreilles ! Quelle robe ! on dirait d'une ruche d'abeilles.

LISETTE
Tu te nommes, dis-tu ?

BERTHAUD
Berthaud. Quel gros chignon ! Et ces souliers tout blancs, ça doit vous coûter bon ; Pas moins, vous devez bien être un brin empêtrée.

LISETTE
M'as-tu de pied en cap assez considérée ? Hé ! mais, c'est toi, Lucas !

BERTHAUD
Vous me reconnaissez ?

LISETTE
Oui certe ; et d'où viens-tu ?

BERTHAUD
Par ma foi, je ne sais.

LISETTE
Bon !

BERTHAUD
Pour venir ici, j'ai pris par tant de rues, J'en ai l'esprit tout bête et les jambes fourbues.

LISETTE
Assieds-toi.

BERTHAUD
Que non pas ! je suis bien trop courtois. Quand j'ai mon habit neuf, jamais je ne m'assois.

LISETTE
Fort bien, cela pourrait gâter ta broderie. Tu n'es donc plus berger dans notre métairie ? Mais tu viens du pays ? Comment va-t-on chez nous ?

BERTHAUD
Je n'en sais rien non plus ; moi, j'ai fait comme vous. Oh ! je ne garde plus les vaches ! — Au contraire, C'est Jean qui les conduit, et Suzon les va traire. Oh ! ce n'est plus du tout comme de votre temps. C'est la grande Nanon qui fait de l'herbe aux champs. Pierrot est sacristain, et Thomas fait la guerre ; Catherine est nourrice, et Nicole…

LISETTE
Et mon père ?

BERTHAUD
Votre père, pardine ! il ne lui manque rien. On est sûr, celui-là, qu'il mange et qu'il dort bien. Ceux qui vivent chez lui n'ont pas la clavelée.

LISETTE
Mais, toi, par quel hasard as-tu pris ta volée ?

BERTHAUD
Voyez-vous, quand j'ai vu que vous étiez ici, Et que votre départ vous avait réussi, Je me suis dit : Paris, ça n'est pas dans la lune. J'avais comme un instinct de faire ma fortune, Et puis je m'ennuyais avec mes animaux ; Et puis je vous aimais, pour tout dire en trois mots.

LISETTE
Toi, Lucas ?

BERTHAUD
Moi, Lucas. En êtes-vous fâchée ? Un chien regarde bien…

LISETTE
Non, non, j'en suis touchée. Tu te nommes Berthaud ? d'où te vient ce nom-là ?

BERTHAUD
C'est mon nom de famille ; à Paris, il faut ça. Quand on va dans le monde…

LISETTE
Et tu vis bien, j'espère ?

BERTHAUD
Vingt-six livres par mois, et presque rien à faire. Quand on a de l'esprit, l'emploi ne manque pas.

LISETTE
Sans doute ; et ton chemin s'est donc fait à grands pas ?

BERTHAUD
Je crois bien, je suis clerc.

LISETTE
Ah ! ah ! chez un notaire ?

BERTHAUD
Non.

LISETTE
Chez un procureur ?

BERTHAUD
Chez un apothicaire.

LISETTE
Peste ! voilà de quoi mettre en jeu tes talents. Eh bien ! monsieur Berthaud, que voulez-vous céans ?

BERTHAUD
Ah ! dame ! en arrivant, j'avais bien une idée ; J'ai l'imaginative un tant soit peu bridée : Je ne m'attendais pas à tous vos affiquets. Jarni ! vos jupons courts étaient bien plus coquets ; Vous étiez bien plus leste, et bien plus féminine. On ne vous voit plus rien, qu'un peu dans la poitrine. Pourtant, malgré vos nœuds et vos mignons souliers, Je vous épouserais encor, si vous vouliez.

LISETTE
Toi ?

BERTHAUD
Mon père est fermier, pas si gros que le vôtre ; Mais enfin, dans ce monde, on vit l'un portant l'autre.

LISETTE
Tu crois donc que ma main serait digne de toi ?

BERTHAUD
Dame ! si vous vouliez, il ne tiendrait qu'à moi. Écoutez, puisqu'enfin la parole est lâchée, Et puisqu'à votre avis vous n'êtes point fâchée. Vous êtes bien gentille, on le sait, on voit clair ; Mais, moi, je ne suis pas si laid que j'en ai l'air. Si la grosse Margot n'était point tant fautive, J'en aurais vu le tour, oui, sans crier qui vive, Et dans la rue aux Ours, où je loge à présent, On ne remarque pas que je sois déplaisant. Je sais signer moi-même, et je lis dans des livres. Je viens de vous conter que j'avais vingt-six livres, Mais il est des secrets qu'on peut vous confier ; Mon maître, au jour de l'an, va me gratifier. C'est déjà quelque chose. À présent, autre idée : Ma tante Labalue est presque décédée. Elle a dans ses tiroirs, qu'il soit dit entre nous, Pour plus de cent écus en joyaux et bijoux. On ne sait pas les grains qu'elle amassait chez elle, Ni les hardes qu'elle a sans compter sa vaisselle. Elle a mis trois quarts d'heure à faire un testament, Et j'hérite de tout universellement. Ça commence à sourire. Encore une autre histoire : Thomas donc est soldat, embarqué pour la gloire. Moi, j'aurais à sa place épousé Jeanneton ; Mais il ne lui faudrait qu'un coup de mousqueton. C'est mon cousin germain ; que le ciel le protège ! Ce métier-là, toujours, n'est pas blanc comme neige. Vous voyez que je suis un assez bon parti ; Nous pourrions faire un couple un peu bien assorti. Contre la pharmacie avez-vous à reprendre ? On n'est point obligé d'y goûter pour en vendre. Mon pourparler vous semble un peu risible et sot ; Vous avez l'esprit riche et vous visez de haut, Mais, voyez-vous, le tout est d'être ou de paraître. Vous portez du clinquant, mais c'est à votre maître. Que l'on vous remercie, il ne vous reste rien ; Moi je n'ai qu'un habit, d'accord, mais c'est le mien. J'ai lu dans les écrits de monsieur de Voltaire Que les mortels entre eux sont égaux sur la terre. Sur ce proverbe-là j'ai beaucoup médité, Et j'ai vu de mes yeux que c'est la vérité. Il ne faut mépriser personne dans la vie, Car tout le monde peut mettre à la loterie. Ce grand homme l'a dit, c'est son opinion, Et c'est pourquoi, jarni ! j'ai de l'ambition.

LISETTE
Je t'écoute, Lucas ; ta rhétorique est forte. Changeras-tu d'avis ?

BERTHAUD
Non, le diable m'emporte.

LISETTE
Eh bien ! reste à l'hôtel, et ne t'éloigne pas. Observe monseigneur, et suis bien tous ses pas.

BERTHAUD
Oui.

LISETTE
Si tu le vois seul, mets-toi sur son passage.

BERTHAUD
Bien !

LISETTE
Dis-lui tes projets pour notre mariage !

BERTHAUD
Bon !

LISETTE
Dis-lui que c'est moi qui le prie instamment D'y prêter sa faveur et son consentement.

BERTHAUD
Mais vous consentez donc ?

LISETTE
Sans doute. — Le temps presse ; Va-t'en.

BERTHAUD
Vous consentez ?

LISETTE
On vient, c'est la duchesse. Dépêche, hors d'ici.

BERTHAUD
Vous consentez, Louison !

LISETTE
Va, ne bavarde pas surtout dans la maison.


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