(LA MARÉCHALE, LISETTE.)
LA MARÉCHALE
Lisette, où courez-vous d'une telle vitesse ?
LISETTE
Madame, on a coiffé madame la duchesse ; Je vais chercher là-bas un de ses dominos.
LA MARÉCHALE
Elle va donc se mettre en masque ? À quel propos ? Veut-elle aller au bal ?
LISETTE
Madame, je le pense.
LA MARÉCHALE
C'est étrange. Et mon fils ?
LISETTE
Il est parti d'avance.
LA MARÉCHALE
Seul ?
LISETTE
Tout seul.
LA MARÉCHALE
Et ma bru va donc le retrouver ?
LISETTE
Je ne sais ; sa toilette a peine à s'achever. Telle robe lui plaît qui bientôt l'importune ; Elle en regarde dix avant d'en choisir une. Elle a presque grondé ses femmes, et je crois Être grondée aussi pour la première fois. LA
LA MARÉCHALE
Faites qu'en ce moment une autre vous remplace.
LISETTE(ouvrant la porte du fond.)
Holà ! quelqu'un ! Marton !
LA MARÉCHALE
Faites aussi qu'on passe Par la grand'salle.(Une des femmes paraît, Lisette lui parle bas ; la femme sort par le fond.)
Eh bien ?
LISETTE
Madame, me voici.
LA MARÉCHALE
Louison, c'est grâce à moi que vous êtes ici. Votre père est chez nous fermier dans un domaine ; Vos parents sont à moi ; je suis votre marraine. J'ai pris grand soin de vous dès vos plus jeunes ans, Et je vous ai reçue enfant chez mes enfants. M'aimez-vous ?
LISETTE
Dieu merci, plus que je ne puis dire.
LA MARÉCHALE
Votre cœur parle franc ?
LISETTE
Aussi vrai qu'il respire.
LA MARÉCHALE
Si, par obéissance ou par nécessité, Il fallait devant moi celer la vérité(La crainte d'un péril ôte celle du blâme)
, S'il vous fallait mentir ?
LISETTE
Je me tairais, madame.
LA MARÉCHALE
Mais si vous le deviez ?
LISETTE
Personne ne le doit.
LA MARÉCHALE
D'où vous vient le brillant que vous avez au doigt ?
LISETTE(à part.)
Ah ! malheureuse !
LA MARÉCHALE
Eh bien ! vous gardez le silence ? Songez que, me voyant avertie à l'avance, Votre silence parle, et peut en dire assez.
LISETTE
Ce brillant… m'appartient.
LA MARÉCHALE
D'où vient-il ?
LISETTE
Je ne sais.
LA MARÉCHALE
Prenez garde, Louison !
LISETTE
Madame, il se peut faire Qu'on soit, je le répète, obligée à se taire. Si ma bouche est muette et doit ainsi rester, De mon respect pour vous est-ce donc m'écarter ?
LA MARÉCHALE
Lisette peut se taire alors que je commande, Mais Louison doit parler si je le lui demande.
LISETTE
On m'appelle Lisette.
LA MARÉCHALE
Oui, dans cette maison. A-t-on changé le cœur aussi bien que le nom ?
LISETTE
De grâce excusez-moi ; je me sens si confuse… Ce cœur voudrait s'ouvrir, mais…
LA MARÉCHALE
Mais il s'y refuse ?
LISETTE
Non, madame, hésiter quand vous parlez ainsi, C'est trop souffrir pour moi ; cette bague… est à lui.
(Elle se met à genoux.)
LA MARÉCHALE
Mon fils ? Je le savais. — Levez-vous donc, ma chère. Vous avez, en tout cas, mieux fait que de vous taire. Mais que prétendez-vous ?
LISETTE(se levant.)
Rien au monde.
LA MARÉCHALE
Et pourquoi, Puisque votre secret s'échappe devant moi, Cette sorte d'audace avec cette imprudence ?
LISETTE
On parle comme on peut, on agit comme on pense.
LA MARÉCHALE
Pensez-vous que le duc soit pour vous un amant, Et qu'on puisse, à son gré, trahir impunément ? Vous croyez-vous assez pour être une maîtresse ?… Ma question vous choque et votre orgueil s'en blesse ?
LISETTE
Je viens de m'incliner, madame, devant vous. Mon orgueil tout entier est encore à genoux. Il peut, sans murmurer, souffrir qu'on m'humilie, Mais non pas qu'on m'outrage ou qu'on me calomnie ; On ne doit m'accuser d'aucune trahison !
LA MARÉCHALE
Oui, cela porte atteinte à l'honneur de Louison !
LISETTE
À mon honneur, madame ? et pourquoi non, de grâce ? Un brin d'herbe au soleil, comme on dit, a sa place. Pourquoi n'aurais-je pas la mienne, s'il vous plaît ? Le monde est assez grand pour tout ce que Dieu fait. LA
LA MARÉCHALE
Vous parlez haut, Lisette, et changez de langage.
LISETTE
Ma foi, madame, c'est celui de mon village. Mon père s'en servait, et je l'ai toujours pris Lorsque sur mon chemin j'ai trouvé le mépris. Certes, lorsque l'honneur s'unit à la noblesse, C'est un bien beau hasard qu'il trouve la richesse ; Mais s'il est dans le cœur des gens qui ne sont rien, On devrait le laisser à qui l'a pour tout bien.
LA MARÉCHALE
Mais, dans cette maison, à jaser de la sorte, Songez-vous qu'il se peut…
LISETTE
Qu'il se peut que j'en sorte ? Je ne le sais que trop, et c'est ce triste pas Qui m'a fait hésiter, je ne m'en défends pas. Dire adieu tout à coup, d'abord à vous, madame, Puis à tant de bienfaits, à tant de bonté d'âme, Perdre tout d'un seul mot, le présent, l'avenir, Oui, c'est là ce qui fait que j'ai failli mentir. Mais je le dis encor, même étant accusée, Je ne puis supporter de me voir méprisée. Quand m'a-t-on jamais vue ou tromper ou trahir ? Qu'on m'apprenne mon crime, avant de m'en punir.
LA MARÉCHALE
Vous venez à l'instant de l'avouer vous-même.
LISETTE
Est-ce ma faute, à moi, si le duc dit qu'il m'aime ? Si de tristes présents, à regret acceptés, Ses discours importuns, son caprice…
LA MARÉCHALE
Arrêtez. Je ne saurais vouloir ni de vos confidences, Ni certe, et moins encor, de vos impertinences. Votre maîtresse est là ; pas un mot de ceci. Mon fils dit qu'il vous aime, — éloignez-vous d'ici. Puisque votre vertu se croit calomniée, Vous la verrez sans peine ainsi justifiée. Vous avez tant d'esprit ! trouvez quelque raison ; Inventez un prétexte, et quittez la maison.
LISETTE
Mais je ne l'aime pas, madame !
LA MARÉCHALE
Toi, Lisette !
LISETTE
Non, je l'écoute dire, et je reste muette.
LA MARÉCHALE
Je perdrais patience à voir ainsi mentir.
LISETTE
Je perdrais patience à plus longtemps souffrir. Ainsi vous me chassez ? Est-il vraiment possible Qu'un franc aveu vous trouve à tel point insensible ?(La maréchale va pour sortir.)
Hé quoi ! sans un regret ! sans laisser à mes yeux Ce regard qu'on accorde aux plus tristes adieux ! Et mon père, madame ?… Est-ce donc bien sa fille, Louison, l'honnête enfant d'une honnête famille, Louison, qui, par votre ordre et contre son désir, Est venue à Paris obéir et servir, Et qu'on verra demain, seule et désespérée, Sous notre pauvre toit rentrer déshonorée ? Qu'ai-je fait ? votre fils, riche, aimé, tout-puissant, Me marchande au hasard et m'achète en passant ; Sûr qu'un peu d'or suffit, et qu'un mot fait qu'on aime, Il s'écoute, il se plaît, et se répond lui-même. Et moi, lorsque je parle à force de tourments, Au lieu de m'écouter on me dit que je mens ! Soit ! — Il me souviendra d'avoir été sincère. Justice des heureux et des grands de la terre ! Qu'importe un peu de mal, pourvu que dans un coin La victime oubliée aille pleurer plus loin, Et qu'en marchant sur nous, la vanité blasée N'entende pas gémir la souffrance écrasée !
LA MARÉCHALE
Ne te fais pas trop vite un chagrin sans raison. Nous en reparlerons demain ; — bonsoir, Louison.
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