(Alonse, Dom Lope)
Alonse
Je l'avois bien prévu, que tant de violence
Pourroit enfin du Ciel lasser la patience,
Et qu'à suivre toujours son seul emportement,
Enrique par ses mains creusoit son monument.
Toutefois il respire, et son reste de vie
Rend de quelque douceur sa disgrâce suivie,
Puisqu'il nous laisse lieu d'espérer qu'au besoin
Lui-même contre lui servira de témoin.
Dom Lope
Ah, sans me déguiser ce qu'on ne me peut taire,
Dites qu'on doit rougir d'avouer un tel frère,
Et que sa lâcheté dans ce dernier combat
N'a fait aux yeux de tous qu'un trop honteux éclat.
Alonse
Il est vrai qu'on le blâme, et qu'un noble courage
Du nombre contre un seul dédaigne l'avantage,
Cependant chacun sait pour ménager ses jours
Qu'il a pu s'abaisser à souffrir du secours.
C'est au milieu de trois qui lui prêtoient main forte
Que ce jeune inconnu l'a blessé de la sorte,
Il est tombé mourant, et de sa fausse mort
Tout le peuple amassé me faisoit le rapport,
Quand lui voyant encore quelques signes de vie
À ne le point quitter l'amitié de convie,
On arrête son sang, il revient lors à soi,
Étant déjà tout proche on le porte chez moi,
Où vous même avez vu dans l'ennui qui l'accable
Que de tout son malheur il se tient seul coupable.
Dom Lope
Hélas ! et plût au Ciel qu'en déplorant le sien
Je n'eusse pas sujet de l'accuser du mien,
Car enfin dans la loi que la fille m'impose,
La promesse d'un père est pour moi peu de chose,
Et je n'ai plus sans doute à songer qu'à mourir,
Puisque votre amitié n'a pu me secourir.
Alonse
J'avois crû jusqu'ici qu'il étoit impossible
Qu'avec tant de vertu l'amour fut compatible,
Et vous sachant aimé j'appréhendois fort peu
Que Jacinte nous pût refuser son aveu.
Mais s'il faut que ma crainte avec vous s'éclaircisse,
Dom Sanche m'est suspect lui-même d'artifice,
Je l'ai revu tantôt, et connu malgré lui
Que l'accord accepté redouble son ennui.
Lui parlant de vous voir, il n'a pu si bien faire
Qu'un mouvement d'aigreur n'ait trahi sa colère,
Elle a paru couverte et m'a trop fait juger
Que rien n'éteint en lui l'ardeur de se venger.
Dom Lope
Qu'il se venge ; aussi bien, quoi que j'ose entreprendre,
Après ce que je sais je n'ai rien à prétendre,
Pour paroître innocent mon effort seroit vain ;
Si c'est le même sang, qu'importe quelle main ?
C'est ce malheur du sang dont je suis responsable,
Qui me rendra toujours également coupable,
Puisqu'ayant à combattre un destin rigoureux,
C'est être criminel que d'être malheureux.
Alonse
La vertu de la fille à nos desseins contraire,
Semble avoir commencé la vengeance du père,
Et ce trouble confus qu'il m'a fait remarquer,
Me fait craindre pour vous à l'oser expliquer ;
Mais le meilleur remède en ce malheur extrême,
C'est de porter Enrique à s'accuser lui-même,
À demander Dom Sanche, et ne lui point cacher
Ce que je sais déjà qu'il s'ose reprocher.
Pour peu qu'on soit sensible, il n'est rien qu'on refuse
Au triste repentir d'un mourant qui s'accuse,
Et quoi qu'ait résolu ce vieillard outragé,
Par le malheur d'Enrique il se tiendra vengé,
Il croira que le Ciel, à ses vœux favorable,
Aura pris soin pour lui de punir un coupable,
Et j'ose m'assurer du succès de vos feux
Quand cet hymen pour lui n'aura rien de honteux.
Dom Lope
Qu'Enrique obtint sur lui cette haute victoire ?
Alonse
Il l'obtiendra sans doute, et j'ai lieu de le croire,
Puisqu'au nom de Fernand par hasard prononcé,
Si Cassandre se plaint de son hymen forcé,
(M'a-t-il dit d'une voix et languide et mourante,)
Je ne l'oblige à rien, qu'elle vive contente.
Dom Lope
Ah, si son repentir s'étendoit jusqu'à moi.
Alonse
Vous en verrez l'effet tel que je le prévois.
Adieu, pour vous servir je vais mettre en usage
Tout ce qui peut abattre un orgueilleux courage.
Dom Lope
Cependant dans l'espoir de quelque mot d'avis,
Je vais rêver une heure autour de ce logis,
Si je suis aperçu, Blanche pourra paroître.
Alonse
Et si quelqu'autre aussi vous alloit reconnoître,
Et que la force en main le vieillard averti,
Malgré tout notre accord vous fît mauvais parti ?
Dom Lope
Vous parlez d'un péril que mon amour méprise.
Alonse
Ce n'est pas sans sujet que j'en crains la surprise.
Voyez, la Lune brille avec tant de clarté,
Que la nuit n'eut jamais si peu d'obscurité.
Ne vous exposez point si vous m'en voulez croire.
Dom Lope
J'aurai soin de ma vie, ayez soin de ma gloire,
Et puis qu'un fier destin s'oppose à mon bonheur,
Par l'aveu du coupable assurez mon honneur.
( Seul.)
Enfin, Fortune, enfin quoi que ta rage ordonne,
Mon cœur à ton caprice aujourd'hui s'abandonne,
Et de son désespoir il tire au moins ce bien,
Qu'il se trouve en état de ne craindre plus rien.
Mais si dans sa clarté la Lune m'est fidèle,
Je vois cet inconnu contre qui j'ai querelle,
C'est lui-même, parlons, puisqu'il s'ose approcher.
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