(Dom Alvar, Cassandre, Flore)
Dom Alvar
Me fuyez-vous, Madame, et portez-vous envie
À ce foible bonheur, le dernier de ma vie ?
Dans ce qu'il fait pour moi n'ayant aucune part,
Pourquoi vous opposer aux faveurs du hasard ?
Est-ce qu'en votre cœur l'excès de ma disgrâce
Fait succéder la haine à l'amour qu'elle en chasse,
Ou que ce même cœur pour moi trop rigoureux,
Croit que s'il n'est cruel il n'est point généreux ?
Cassandre
Mon cœur n'est point cruel, et ce n'est pas sans peine
Qu'il vous entend parler et d'amour et de haine,
Car enfin quelques maux qu'il puisse ressentir,
L'une n'y peut entrer, mais l'autre en doit sortir.
Dom Alvar
C'est donc ce qu'à mes feux, après deux ans d'absence
Vous réserviez pour prix de ma persévérance ?
Encore si votre cœur moins sensible à ces feux
Par quelque aversion échappoit à mes vœux,
Si la haine m'ôtait ce qu'il faut que je quitte,
Je n'en accuserois que mon peu de mérite,
Et sur mes seuls défauts jetant un œil jaloux,
Je me plaindrois du Ciel sans me plaindre de vous :
Mais par une rigueur qu'on aura peine à croire,
M'arracher de ce cœur fait toute votre gloire,
Et ces traits que l'amour lui-même y sut tracer,
C'est en les déchirant qu'il les faut effacer.
Cassandre
Dans le triste revers dont je souffre l'atteinte,
Si ma juste conduite attire votre plainte,
Songez qu'il est bien dur de la voir condamner
À qui ne peut avoir d'excuse à vous donner.
Dom Alvar
Quoi, votre fier devoir jusques-là vous abuse,
Que vous me refusiez la douceur d'une excuse ?
Cassandre
C'est ce que votre amour ne doit point exiger.
Qu'auroit-elle aussi bien qui le put soulager,
Qui put donner relâche au trouble qui l'agite,
Puisque je n'en ai qu'une, et que je vous l'ai dite ?
Dom Alvar
Ah, si cette raison vous la fait supprimer,
Que vous connoissez peu ce que c'est que d'aimer !
Jamais, jamais l'amour n'eut d'excuse frivole,
Il sait charmer cent fois par la même parole,
On a beau la redire et beau la répéter,
De nouvelles douceurs s'y font toujours goûter,
L'appas en est secret et le pouvoir extrême,
Et si pour qui la dit elle est toujours la même,
Bien qu'elle semble l'être, il est certain pourtant
Qu'elle n'est pas la même à celui qui l'entend.
Dites-la donc encore cette excuse charmante,
Qui soulage mes maux quand elle les augmente,
Et mêlant vos regrets à mes vives douleurs,
Presse mon désespoir de finir mes malheurs.
Cassandre
Et vous pourriez souffrir qu'aux dépens de ma gloire
J'écoutasse une amour que je ne dois plus croire ?
Quand d'abord votre vue a troublé mes esprits,
L'âme toute en désordre et les sens interdits,
J'ai pu m'abandonner dans ma surprise extrême
À ce que pense un cœur quand il perd ce qu'il aime,
Et que prêt de subir un redoutable sort
Il regrette vivant ce qu'il a pleuré mort.
Mais enfin à présent qu'un peu mieux éclairée,
Ma raison sert de guide à mon âme égarée,
Et que mon cœur honteux de se voir abattu
Avec plus de vigueur rappelle sa vertu,
Loin de suivre l'erreur qui m'avoit abusée,
Si je dois m'excuser, c'est de m'être excusée,
Et d'avoir fait paroître avec quel désespoir
L'amour que j'eus pour vous s'immole à mon devoir.
Dom Alvar
Ainsi vous détrompant du bruit de mon naufrage,
Confessez qu'à mes feux j'ôte un grand avantage,
Et qu'il vaudroit bien mieux qu'ainsi qu'auparavant,
Vous m'estimassiez mort que de me voir vivant.
Cassandre
Au moins pourrois-je encore me dispenser sans honte
À pousser des soupirs pour une mort trop prompte,
Et sans examiner si dans de tel malheurs
L'amour ou la pitié feroit couler mes pleurs,
Pour flatter mon ennui je trouverois des charmes
À me croire permis de répandre des larmes ;
Mais lors que vous vivez, des sentiments si doux
Sont trop pour mon devoir s'ils sont trop peu pour vous,
C'est à les étouffer qu'il faut que je m'applique,
Et comme votre vue en est l'obstacle unique,
Je fuis un ennemi qu'en mon ennui secret
Je combats avec peine et ne vaincs qu'à regret.
Dom Alvar
Vous me quittez, Madame ?
Cassandre
Il y va de ma gloire.
Dom Alvar
Et d'un amour si pur vous perdrez la mémoire ?
Cassandre
J'y ferai mon pouvoir.
Dom Alvar
Oyez donc jusqu'au bout,
À quel point…
Cassandre
Non, c'est trop.
Dom Alvar
Je vous suivrai partout,
Et si vous me quittez, il n'est respect ni crainte
Qui m'empêche chez vous d'aller porter ma plainte.
Cassandre
Si je dois l'écouter, sachez auparavant
Ce que s'en doit promettre un espoir décevant.
Quand celui d'être à vous autorisa ma flamme
Je ne vous cachai point les secrets de mon âme,
Et vos feux n'ayant rien qui blessât mon devoir,
Je vous aimai sans doute et vous le pûtes voir.
Par un funeste bruit ma fortune changée
Ayant crû votre mort je me suis engagée,
Ce bruit m'a fait ailleurs disposer de ma foi,
Vous savez qui je suis et ce que je me dois,
Que l'honneur a ses lois que l'on ne peut enfreindre ;
Plaignez-vous là dessus, si vous osez vous plaindre.
Dom Alvar
Oui, je l'ose, Madame, et si vous n'espérez…
Mais las ! Que puis-je dire alors que vous pleurez ?
Cassandre
Si mes yeux par des pleurs attentent sur ma gloire,
Ce sont des imposteurs que l'on doit point croire.
Dom Alvar
Quoi donc, vos passions sont tellement à vous
Qu'un moment peut changer la tendresse en courroux ?
Est-il possible, hélas ! Qu'avec si peu de peine
Vous réduisiez l'amour aux effets de la haine,
Et qu'exposée aux coups des plus rudes combats
Vous puissiez soupirer et ne soupirer pas ?
Ah, si jamais pour vous ma flamme eut quelques charmes,
Enseignez-moi comment vous vous servez des larmes,
De ces larmes toujours si prêtes d'obéir,
Qui prennent loi de vous, qui n'osent vous trahir,
Et que par un pouvoir que je ne puis comprendre
Je vous vois essuyer aussitôt que répandre.
Cassandre
Quand de ce que je fus j'ose me souvenir,
Mon cœur comme en tribut s'apprête à m'en fournir,
Quand par ce que je suis il connoît qu'il s'abuse,
Mon cœur ce même cœur soudain me les refuse,
Et par ces sentiments l'un à l'autre opposez
Deux partis se formant dans mes sens divisez,
Sans permettre aucun calme à mon âme inquiète,
La douleur les attire et l'honneur les arrête,
Ne pouvant consentir qu'en un sort si nouveau
Le plus bas sentiment triomphe du plus beau.
Dom Alvar
Enfin c'est à regret qu'entre les bras d'un autre…
Cassandre
Si l'aveu de mon mal peut adoucir le vôtre,
Oui, je souffre à vous perdre, et mon cœur alarmé
Ne se souvient que trop de vous avoir aimé,
En vain pour l'oublier il se fait violence.
Dom Alvar
Donc je puis…
Cassandre
N'en tirez aucune conséquence.
Dom Alvar
Espérer que peut-être…
Cassandre
Injuste et vain espoir !
Dom Alvar
Mon amour…
Cassandre
Ne pourra corrompre mon devoir,
Et plutôt que…
Flore
montrant Enrique qui paroît.
Madame.
Cassandre
Ô disgrâce imprévue !
Empêchez qu'on me suive, ou bien je suis perdue.
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