(Dom Lope, Cassandre, Jacinte, Blanche, Flore)
Dom Lope
Madame, quel dessein en ce lieu vous conduit ?
Venez-vous voir l'état où m'avez réduit,
Et de mon désespoir jouissant sans obstacle
Saouler votre vertu d'un si triste spectacle ?
Cassandre
( à Jacinte)
Vous voyez les transports d'un cœur vraiment atteint,
Il n'espère qu'en trouble et croit tout ce qu'il craint.
Jacinte
J'avois fait un dessein dont sans doute il soupire,
Mais il étoit injuste, et je viens m'en dédire.
Dom Lope
Quoi ! Se pourroit-il bien qu'après tant de rigueur,
Un reste de tendresse eut ému votre cœur,
Que vous eussiez connu qu'une injustice extrême
Vous portoit à me perdre en vous perdant vous même,
Et que l'amour enfin vous eut fait souvenir
Qu'il faut venger un père, et non-pas vous punir ?
Jacinte
Je sais ce que je dois aux intérêts d'un père,
Pour l'oublier jamais sa gloire m'est trop chère,
Mais au nom de l'époux qu'il m'avoit destiné,
Contre moi tout à coup mon cœur s'est mutiné,
Et soudain condamnant ma première entreprise,
À sa rébellion ma raison s'est soumise.
Dom Lope
Elle a dû s'y soumettre, et son aveuglement
Avec trop d'injustice immoloit votre amant,
Le Ciel qui l'a connue y daigne mettre obstacle,
Et mon amour confus attendoit ce miracle.
Mais puis-je demander quel étoit cet époux ?
Jacinte
Le voulez-vous savoir ? Vous, Dom Lope.
Dom Lope
Moi ?
Jacinte
Vous.
Dom Lope
Hélas ! À ce discours que faut-il que je pense ?
Jacinte
Que mon père vous croit l'auteur de son offense.
Dom Lope
Que le perfide Alonse ait osé m'accuser
Du crime le plus noir qu'on me pût imposer !
Jacinte
Sur vous d'un coup si lâche il fait tomber le blâme,
Et par votre ordre seul…
Dom Lope
Le croyez-vous, Madame ?
Jacinte
Vous voir et vous parler sans faire agir mon bras,
C'est vous montrer assez que je ne le crois pas.
De quoi que vous accuse un indigne murmure,
L'amour que j'ai pour vous en convainc l'imposture,
Et répond hautement à mon cœur abattu
Et de votre innocence et de votre vertu.
Cette amour dans son choix ne s'est point emportée,
Ayant pu l'acquérir, vous l'avez méritée,
Et l'ayant méritée, il est à présumer ;
Qu'une vertu sublime en vous me sut charmer,
Que la mienne jamais ne peut m'avoir trahie,
Que de fausses clartés ne m'ont point éblouie,
Et qu'enfin j'ai dû voir dedans un cœur constant
Tout ce qu'un vrai mérite a de plus éclatant.
Voila sur quels appuis mon amour osa naître,
Et si vous n'étiez pas ce que je vous crois être,
Si de bas sentiments vous tenoient partagé
Je me voudrois punir d'en avoir mal jugé.
Dom Lope
Pour bien juger de moi, jugez-en par vous même,
Ou pour dire encore plus, par ce cœur qui vous aime,
Puisqu'on ne vit jamais les belles passions
Sur des courages bas former d'impressions.
Mais si votre vertu jugeant mon innocence,
Contre la calomnie entreprend ma défense,
Daignez ne pas laisser votre ouvrage imparfoit,
Et de l'erreur d'un père accordez-moi l'effet.
Voyez de votre hymen ce qu'on lui fait prétendre ;
Pour effacer sa honte il vous demande un gendre,
Et puisque son honneur vous doit seul engager,
Faites tomber sur moi le droit de le venger.
Prenez l'occasion que le Ciel vous présente
De remplir les devoirs et de fille et d'amante,
Et ne me perdez pas quand il vous donne jour
À satisfaire ensemble et l'honneur et l'amour.
Jacinte
Dom Lope, qu'est-ceci ? vous oubliez sans doute
Que c'est vous qui parlez, et moi qui vous écoute ?
Ou voulant que j'embrasse un projet si honteux,
La gloire vous déplaît pour objet de nos feux ?
Ainsi donc ma vertu doublement infidèle,
Répondra lâchement à ce qu'on attend d'elle,
Et je pourrai souffrir qu'on me reproche un jour
Que l'honneur me servit de prétexte à l'amour,
Qu'abusant de l'erreur qui pût surprendre un père,
Je ne le satisfis que pour me satisfaire,
Et que ma passion couvrit sa lâcheté
D'un vain et faux éclat de générosité !
Dom Lope
Comme toujours ma flamme a demeuré secrète,
La peur d'un tel reproche en vain vous inquiète,
On ne soupçonne rien de cette noble ardeur
Qui m'acquit votre estime en vous donnant mon cœur,
Et chacun vous croyant dans cet hymen surprise,
Personne ne saura que l'amour l'autorise,
Qu'à des motifs d'honneur il mêle son appas.
Jacinte
Et moi, Dom Lope, et moi ne le saurai-je pas ?
Quoi ! dans ce haut dessein où la vertu m'engage,
Estimez-vous si peu mon propre témoignage,
Et ne suffit-il pas pour m'en faire une loi
Que mon cœur en secret dépose contre moi ?
Quoi qu'on cherche l'estime avec des soins extrêmes,
Des belles actions le prix est en nous mêmes,
Ce charme intérieur qui nous sait émouvoir,
Est le plus doux encens qu'on puisse recevoir.
Sans que nous dépendions de ce qu'on ose croire,
C'est par nous que s'achève ou détruit notre gloire,
Et l'éclat du dehors a peine à l'agrandir
Alors que le dedans refuse d'applaudir.
Un cœur qui d'un grand cœur aspire à l'avantage,
Doit s'oser dire tel par son propre suffrage,
S'en répondre à soi-même, et sur un tel appui
S'abandonner sans crainte à ce qu'on croit de lui.
Dom Lope
Où me vas-tu réduire, ô vertu trop austère ?
Jacinte
Mais vous êtes encore l'ennemi de mon père,
On vous accuse enfin, convainquez l'imposteur,
Et de notre disgrâce allez chercher l'auteur,
Montrez-vous innocent en le faisant connoître.
Dom Lope
Quoi, c'est aussi par moi que son bonheur doit naître,
Par moi, qui découvrant son crime aux yeux de tous,
Lui cède mon espoir, et le fais votre époux,
Et vous m'osez charger de cet emploi funeste ?
Jacinte
Faisons notre devoir, le Ciel fera le reste.
Dom Lope
Il faut vous obéir, mais souvenez-vous bien
Que ce lâche connu, je ne connois plus rien,
Et qu'à quoi que pour vous le respect me convie,
Son bonheur est mal sûr s'il me laisse la vie.
Adieu.
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