Les Illustres Ennemis
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ACTE I - Scène PREMIERE

Thomas Corneille

ACTE I - Scène PREMIERE


(Alonse, Enrique)

Alonse
Quoi, sans aucun respect, pour un léger outrage
Accabler d'infamie un homme de son âge,
Et démentant par là le sang dont vous sortez,
L'avoir fait maltraiter par des gens apostez !
Quel fruit espérez-vous de cette violence ?
Quoi ! J'aurois plus longtemps souffert son insolence,

Enrique
Et qu'au sang des Guzman on osât reprocher
Qu'un murmure honteux n'auroit pu les toucher !
Il publie en tous lieux, ce Vieillard téméraire,
Que l'artifice seul nous acquiert un beau-frère,
Que l'hymen de Fernand est un hymen contraint,
Qu'il n'épouse ma sœur que parce qu'il nous craint,
Et qu'avec tant de bien il est hors d'apparence
Qu'un tel choix eût enfin borné son espérance.
Le Ciel ne souffre point de nœuds mal assortis,
Et s'il pouvoit prétendre aux plus riches partis,
Au moins de notre sang la gloire est peu commune,
Et vaut bien aujourd'hui la plus haute fortune.

Alonse
Si la chose est ainsi, j'avouerai qu'il eut tort,
Mais on vous aura fait peut-être un faux rapport,
Et de vos sens fougueux croire le fier tumulte…

Enrique
Dans ces occasions le lâche seul consulte,
Reculer sa vengeance, est trahir son honneur,
Et le plus prompt remède est toujours le meilleur.

Alonse
Mais souvent à leur gré les violents courages,
Pour se croire un peu trop, se forment des outrages,
En vain la raison parle, ils ne l'écoutent plus,
Et vengent des affronts qu'ils n'ont jamais reçus.
Enfin d'un vain discours dont votre honneur s'offense,
Au moins Dom Lope eut dû partager la vengeance,
Mais au déçu d'un frère…

Enrique
Ah ! Ne me blâmez point,
Je sais que son honneur à mon honneur est joint,
Mais quel que soit l'affront qu'en reçoit sa famille,
Pour se venger du père, il aime trop la fille,
Et quand de cet amour j'aurois lieu de douter,
Quoi qu'il me plaise faire, ai-je à l'en consulter ?

Alonse
Vous emporter ainsi dans ce qui l'intéresse,
C'est avec trop d'empire user du droit d'aînesse,
Jacinte est fille unique, et l'éclat de ses biens
Pour arrêter un cœur a de puissants liens,
Deviez-vous ruiner sa plus douce espérance ?

Enrique
Elle est basse, elle est vaine, et c'est dont je m'offense.

Alonse
Si le nom de Guzman marque un illustre sang,
Dom Sanche est estimé, Dom Sanche a quelque rang,
Et sans se faire tort, sans trahir sa famille,
Dom Lope aux yeux de tous peut épouser sa fille.

Enrique
Quoi, les Lares déjà, les Mendoces confus,
De ce Vieillard avare ont souffert des refus,
Et Dom Lope cédant à l'ardeur qui le dompte,
Osera s'exposer à cette même honte ?
Non, j'imagine encore un moyen plus certain
D'empêcher un amour aussi lâche que vain.
Un de ceux dont l'audace a servi ma colère
S'ira dire à Dom Sanche employé par mon frère,
Afin que par lui seul se croyant affronté,
Il détruise un espoir trop longtemps écouté.

Alonse
Mais il aime sa fille ?

Enrique
Oui, je sais qu'il l'adore,
Mais je l'ai déjà dit, et vous le dis encore,
À quoi que cet amour pût enfin l'obliger
Ce sera le servir que de l'en dégager.
Un refus en seroit l'indigne récompense.

Alonse
Pesez mieux un dessein d'une telle importance,
Car comment s'assurer sur ces lâches esprits
Qui mettent et leur vie et leur honneur à prix ?
Leur commerce honteux, quoi que vous veuillez croire,
Déjà d'un noir reproche a souillé votre gloire,
Et vos emportements qu'on leur fait approuver,
Me font craindre pour vous ce qui peut arriver.

Enrique
Et moi, quoi qu'on murmure et quoi qu'il en puisse être,
Seul de mes actions je veux être le maître,
Mais puisque leur appui vous semble hasardeux,
Faites ici pour moi ce que j'obtiendrois d'eux.
Dom Sanche vous estime, il vous croit, et j'espère…

Alonse
Que me proposez-vous ? Moi, trahir votre frère ?

Enrique
Ce murmure insolent au mépris des Guzman
De ce Vieillard pour lui fait voir les sentiments,
Et quoi que son amour ait pu lui faire croire,
Le rendre sans espoir, c'est assurer sa gloire.
Enfin vous le pouvez, c'est par vous que j'attends
L'infaillible succès de ce que je prétends,
Et si votre amitié s'obstine à s'en défendre,
D'autres que vous peut-être oseront l'entreprendre.

Alonse
Non, j'ai pu balancer, mais puisque je connois
Qu'à Dom Lope par là je signale ma foi,
Pour abuser Dom Sanche employer l'artifice,
N'est pas, à mon avis, une grande injustice.
C'est ici qu'il demeure, et je vais de ce pas
Lui tendre un piège adroit qu'il n'évitera pas,
Adieu, laissez-moi seul, je vois sa porte ouverte.

Enrique
Allez, ne perdons point l'occasion offerte,
Rendez suspect mon frère, et s'il en est besoin
Faites-moi de l'outrage et complice et témoin.

Alonse
(seul.)
Oui, lâche et faux ami, j'accuserai ton frère,
Mais plus pour le servir, que pour te satisfaire,
Et tu verras bientôt par quel heureux détour
Sur tes propres conseils j'appuierai son amour.
Feignant de t'applaudir, j'empêcherai peut-être…
Mais je vois Blanche.


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