La Chasse aux corbeaux
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ACTE TROISIÈME - SCENE III

Eugène Labiche

ACTE TROISIÈME - SCENE III


ANTOINE, puis L'ANGLAIS, LE GARÇON, puis CRIQUEVILLE, puis UNE MARCHANDE
DE GÂTEAUX.

L'ANGLAIS
(entrant et s'asseyant à une table à gauche. )
Garçonne!

LE GARÇON
Monsieur!

L'ANGLAIS
Je demandais encore un verre d'absinthe souisse.

ANTOINE (à part, regardant l'Anglais)
La vue de cet homme me creuse de plus en plus!… Oh! une idée… (Appelant le garçon qui sert l'Anglais. )
Garçon !

LE GARÇON
(à ANTOINE.)
De l'absinthe, monsieur?… tout de suite !

ANTOINE
Mais non!… imbécile… Voulez-vous dire à M. Criqueville qu'un monsieur bien mis désire lui parler.

LE GARÇON
J'y cours… (Il rentre dans le café.)

ANTOINE (seul)
Je vas lui demander cent sous et je me ferai servir un bifteck.
CRIQUEVILLE paraissant sur le perron. Qui est-ce qui me demande?

ANTOINE (mystérieusement)
Chut ! approchez!

CRIQUEVILLE (descendant)
Eh bien?

ANTOINE
C'est moi!

CRIQUEVILLE
Que le diable t'emporte! Que veux-tu?

ANTOINE
Je voudrais avoir cent sous pour déjeuner? (Il tend la main.)

CRIQUEVILLE
Cent sous?… Il est facétieux… est-ce que je les ai?

ANTOINE
Alors, donnez-moi la clef… je vas aller les chercher. (Il tend la main.)

CRIQUEVILLE
Quelle clef?

ANTOINE
De votre domicile… A propos, où demeurons-nous ?

CRIQUEVILLE
Tiens! c'est vrai! Nous ne demeurons pas!

ANTOINE (à part)
Sapristi! pas d'argent et pas de domicile!… Ah! si la place n'était pas si bonne!(Haut.)
Mais je ne peux pourtant pas vivre comme ça!
(AIR de Madame Favart.)
N'avoir, monsieur, pour toute subsistance,
Qu'un pardessus qu'on porte sur le bras…

CRIQUEVILLE
C'est très joli!

ANTOINE
Mais pas comme pitance!
Mon estomac rêve d'autres repas !

CRIQUEVILLE
Veux-tu, gratis, un festin confortable ?

ANTOINE
Mon sort, pour lors, serait un des plus beaux!

CRIQUEVILLE
Eh bien, mon cher, souviens-toi de la fable ;
Fais le renard… et trouve des corbeaux.
Rappelle-toi le renard de la fable…
Imite-le, fais chanter les corbeaux!

ANTOINE(Parlé.)
Sur le boulevard des Italiens ?

CRIQUEVILLE
Il y en a partout! (Apercevant une marchande de gâteaux qui entre par la droite et traverse.)
Tiens! voilà une marchande de gâteaux!
(La marchande de gâteaux en offre à l'Anglais.)

ANTOINE
Vous croyez ?

CRIQUEVILLE
Parbleu!

ANTOINE
Je vas essayer! (Il lui prend la taille.)
Eh! bonjour, ma petite mère!

LA MARCHANDE
(le repoussant. )
Dites donc, vous!

ANTOINE
Ah! que vous êtes donc fraîche et jolie à ce matin!

LA MARCHANDE
Achetez-moi quelque chose.

ANTOINE
Acheter? merci! je sors de table! (La suivant.)
Mais que vous êtes donc fraîche et jolie à ce matin !
(Il disparaît avec elle.)

CRIQUEVILLE (le suivant du regard dans la coulisse)
Eh bien, mais il ira ce garçon, il ira!


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