KERKADEC, CHIQUEVILLE, ANTOINE, puis CATICHE.
CRIQUEVILLE (entrant et parlant à ANTOINE dans la coulisse)
Allons, arrive donc!
ANTOINE
(paraît, portant toujours le pardessus de son maître; il est très pâle.)
Voilà, monsieur!
CRIQUEVILLE (à KERKADEC)
M. de Flavigny est-il dans ses bureaux?
KERKADEC
Il vient d'entrer chez M. le directeur avec M. Montdouillard.
CRIQUEVILLE
Tous les deux sont ici ? bravo ! (A part.)
Ma dot et ma place!
KERKADEC
Si vous voulez prendre la peine d'attendre…
CRIQUEVILLE
Certainement.
(KERKADEC sort.)
ANTOINE (à part)
Ah! je ne suis pas à mon aise!… Gredin d'Anglais !
(Il s'assied sur une chaise.)
CRIQUEVILLE (à ANTOINE)
Eh bien, qu'est-ce que tu fais là?
ANTOINE
Monsieur, je suis mélancolique… j'ai des tristesses d'estomac!
CRIQUEVILLE
Tu as encore faim ?
ANTOINE (se levant d'un bond)
Oh non! je n'aurai plus jamais faim!
CRIQUEVILLE
Il paraît que tu as joliment fonctionné hier?
ANTOINE
Il fallait vaincre, monsieur, il fallait vaincre!
CRIQUEVILLE
Ou périr!
ANTOINE
Ou payer!… ah! monsieur! quel Anglais!… Si vous l'aviez vu manœuvrer à travers les biftecks, les gigots, les rosbifs!… haoup!… haoup!
CRIQUEVILLE
(AIR : )
Il me faudra quitter l'empire.
Cette lutte gastronomique
Devait être un coup d'oeil charmant!
ANTOINE
N' m'en parlez pas! cet Anglais diabolique
Était affreux! fantastique! effrayant !
J'en tremble encor, monsieur, en en parlant.
Dix plats, vingt plats ne paraissaient qu'à peine
Pour s'engloutir dans ses flancs dévorants!…
Et j' me croyais, cauch'mar des moins riants,
Tête-à-tête avec la baleine,
Au milieu d'un banc de harengs,
Quand ell' déjeun' dans un banc de harengs!
Ça entrait! ça entrait!
CRIQUEVILLE
Eh bien!… et toi?
ANTOINE
Moi, je tenais bon… d'abord! mais, au bout d'une heure, je commençais à me sentir gonfler dans votre pardessus… on vous l'a fait un peu étroit… pour moi!… l'English me guignait de l'œil… je ne bougeais pas!… enfin, on apporte le café!… Je me dis : "C'est fini!…" ah bien, oui!… le gredin commande un vaste plat de haricots… au lard!… je bondis!… un bouton part… ma livrée paraît!
CRIQUEVILLE
Maladroit!
ANTOINE
Au contraire!… ça m'a sauvé!… Milord se voyant à table avec un domestique, perd tout à coup l'appétit, se lève, me lance un shocking… paye et disparaît… mais trop tard!…
CRIQUEVILLE
Bah! tu étais vainqueur !
ANTOINE
Mais blessé!… (Tristement.)
Ah! je me frictionnerais bien avec une tasse de thé!
CRIQUEVILLE
Voyons ! du courage!… nous touchons au but. (Avec exaltation.)
Antoine, c'est aujourd'hui Marengo!
ANTOINE (grommelant)
Oui, Marengo! mais, avec tout ça, nous n'avons pas encore vu la couleur d'une pièce de cent sous!
CRIQUEVILLE
Patience! car la fable a raison… Tout flatteur vit aux dépens…
ANTOINE
Il vit, c'est possible!… mais il ne s'enrichit pas!… il ne s' enrichit pas!… voilà le hic !… nous n'avons pas même de domicile!
CRIQUEVILLE
Eh bien, et la voiture de mon ami Bartavelle ? on y est fort bien!
ANTOINE
Dedans! c'est possible; mais pas sur le siège!… et puis, un appartement sur roulettes !
CRIQUEVILLE
Plains-toi donc! je te loge dans les plus beaux quartiers… boulevard des Italiens!…
ANTOINE
On y fait un bruit!
CRIQUEVILLE
Si tu préfères le Marais… parle!… il n'y a qu'un coup de fouet à donner!
ANTOINE
Vous riez!… mais vous verrez qu'un de ces matins nous nous réveillerons en fourrière… pour n'avoir pas allumé les lanternes !
CRIQUEVILLE
Sois tranquille!… Dans une heure, notre vagabondage aura cessé ; j'aurai une place, une dot et un logement.
ANTOINE (joyeux)
Ah bah! et une théière aussi, monsieur?
CATICHE (entrant avec une tasse sur une assiette)
Ousqu'est le cabinet de monsieur à présent?
CRIQUEVILLE
Ma payse!… Te voilà ici, toi ?
CATICHE
Oui, monsieur, les autres m'ont fichu à la porte… y me commandent des crèmes aux olives et des canards au chocolat ; et y n'en veulent plus!
ANTOINE
Pauvre fille!
CATICHE
Mais ils m'ont payé mes huit jours… ça fait deux fois qu'on me les paye depuis hier!
CRIQUEVILLE
Seize jours en vingt-quatre heures!… Elle va bien.
ANTOINE
Elle a trouvé une bonne ficelle, la Picarde!
CATICHE
Je cherche le cabinet de mon maître pour lui porter son thé.
ANTOINE
Du thé!!!
(Il prend la tasse et boit.)
CATICHE
Eh bien, qu'est-ce que vous faites donc ?
ANTOINE (après avoir bu)
Ah! ça va mieux!
CATICHE
Faut que j'aille en chercher d'autre.
ANTOINE
Tu en as d'autre ?
CATICHE
Dans la cuisine.
ANTOINE
Je ne te quitte pas!… viens, je te raconterai mes malheurs! Gredin d'Anglais!
(Ils entrent dans la cuisine.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...