CHAMPBOURCY puis COLLADAN et CORDENBOIS
La scène reste un moment vide, puis une planche du bâtiment en construction s'écarte, et l'on voit passer la tête de CHAMPBOURCY.
CHAMPBOURCY (regardant de tous côtés.)
Personne !… je puis me hasarder. (Il enlève une planche et entre en scène par la brèche.)
Nous avons passé la nuit là-dedans… A peine avionsnous fait vingt-cinq pas, en nous sauvant de chez Cocarel, que nous avons aperçu M. Béchut… avec quatre hommes et un caporal… Léonida s'est évanouie. Impossible d'aller plus loin, nous étions en face de ce bâtiment en construction. Alors j'ai eu l'idée… car c'est moi qui ai toutes les idées… mes compagnons de voyage sont d'une nullité !… Cordenbois gémit et Colladan rage… j'ai donc eu l'idée d'introduire ma sœur dans ces planches… Nous l'avons couchée sur un lit de copeaux et sur des habits de maçon que nous avons trouvés… elle dort… et nous avons bivouaqué là… sur des brouettes!
CORDENBOIS (passant sa tête par l'ouverture.)
Pst ! pst !
CHAMPBOURCY
Hein?… ah! vous m'avez fait peur!
CORDENBOIS
II n'y a personne ?
CHAMPBOURCY
Non !
CORDENBOIS (entrant en scène dans son costume du quatrième acte.)
Ah ! quel voyage, mon
Dieu!… quel voyage!
CHAMPBOURCY (à part.)
Voilà!… c'est son refrain depuis hier soir !
COLLADAN (passant la tête au-dessus des planches et faisant un signal.)
Prrrrrit ! prrrrrit !
CHAMPBOURCY
A l'autre, maintenant…
COLLADAN
Peut-on entrer ?
CHAMPBOURCY
Oui.
COLLADAN (entrant en scène et éclatant tout à coup. Ils sont tous les trois couverts de plâtre.)
C'est une infamie ! c'est une horreur ! ça ne peut pas durer comme ça ! Je proteste !
CHAMPBOURCY
Qu'avez-vous ?
COLLADAN
Je suis las de dormir dans les démolitions, de dîner avec des brioches et de ne pas déjeuner du tout !
CORDENBOIS (plaintif.)
Quel voyage, mon Dieu ! quel voyage !
CHAMPBOURCY
Mais soyez donc tranquilles… dès que ma sœur sera réveillée, nous partirons pour La Ferté-sous-Jouarre…
COLLADAN
Mais avec quoi? puisqu'on ne nous a rien laissé… pas un rouge liard ! C'est une infamie ! c'est une horreur ! Je proteste !
CHAMPBOURCY
Nous n'avons pas d'argent… c'est vrai; mais Cordenbois en a, lui !
CORDENBOIS
Moi ?
CHAMPBOURCY
Dame ! vous n'étiez pas avec nous chez le commissaire ?
COLLADAN
C'est vrai !
CORDENBOIS
Permettez… je suis parti avec cent quatorze francs pour mes dépenses personnelles.
CHAMPBOURCY
C'est plus qu'il n'en faut.
COLLADAN (tendant la main.)
Donnez !
CORDENBOIS
Mais je n'ai plus rien !
CHAMPBOURCY et COLLADAN
Comment ?
CORDENBOIS
Ce filou de Cocarel m'a fait déposer cinq louis pour me montrer votre sœur, que je vois pour rien depuis vingt ans.
COLLADAN
Mais les quatorze francs ?
CORDENBOIS
J'ai acheté une ceinture.
CHAMPBOURCY
Mais vous avez votre montre…
CORDENBOIS
Je l'ai mise en gage pour me procurer ce costume… Je redois même dix francs à M. Babin… J'avais compté sur la cagnotte pour aller reprendre mes habits…
CHAMPBOURCY
Nous voilà bien !
COLLADAN (trépignant.)
C'est une horreur ! c'est une infamie !
CORDENBOIS
Quel voyage, mon Dieu ! quel voyage !
CHAMPBOURCY
Voyons, quand vous passerez votre temps à geindre ou à rager! nous en avons vu bien d'autres ! la Providence est là !
CORDENBOIS (poussant un cri, mouvement de frayeur des autres.)
Ah !… dix sous !… dans la poche de mon gilet.
CHAMPBOURCY
Qu'est-ce que je vous disais ? La Providence !
COLLADAN
Mais, nom d'un nom ! qu'est-ce que vous voulez faire de dix sous… pour cinq?(Tendant la main.)
Donnez-les-moi toujours !
CHAMPBOURCY (les prenant.)
Du tout!… ils sont à la communauté !… elle va décider ce qu'il faut en faire… Qui est-ce qui demande la parole ?
CORDENBOIS et COLLADAN (ensemble.)
Moi.
CHAMPBOURCY
Ah ! nous allons recommencer ! Cordenbois, parlez ! vous êtes le plus vieux !
CORDENBOIS
Messieurs… quel voyage, mon Dieu! quel voyage !…
CHAMPBOURCY
Après?…
CORDENBOIS
Je n'ai pas autre chose à dire.
CHAMPBOURCY (à COLLADAN.)
A vous…
COLLADAN
Avec les dix sous, je propose d'acheter du pain et des saucisses… voilà!
CHAMPBOURCY
Eh bien, après ? quand vous les aurez mangés ?
COLLADAN
Ah, dame !
CHAMPBOURCY
Remarquez-vous comme vous avez l'intelligence ratatinée?…
CORDENBOIS
Que voulez-vous ! l'adversité me flanque par terre !
CHAMPBOURCY
Moi, c'est le contraire… je grandis avec les difficultés!… le péril m'exalte!… j'étais né pour les grandes choses… Je vais d'abord acheter un timbre à vingt centimes.
COLLADAN
Mais ça ne se mange pas !
CORDENBOIS
II ne nous restera plus que six sous… quel voyage !
CHAMPBOURCY
Avez-vous confiance en moi, oui ou non ?
COLLADAN
Allez !
CHAMPBOURCY
J'écris à Baucantin, notre ingénieux receveur des contributions; je le prie de nous envoyer cinq cents francs.
CORDENBOIS
Cinq cents francs !
COLLADAN
Nous sommes sauvés !
CORDENBOIS
Mais si on ne lui affranchissait pas la lettre ?
CHAMPBOURCY
Je le connais… il la refuserait.
CORDENBOIS
C'est juste.
COLLADAN
Je demande à placer une observation… Où nous ferons-nous adresser la réponse?… nous n'avons pas de domicile, nous sommes traqués, poursuivis!…
CORDENBOIS
Et comment vivrons-nous d'ici là?
CHAMPBOURCY
Enfants de La Ferté-sous-Jouarre ! croyez en moi!… Autrefois, quand je venais à Paris, je descendais rue de l'Échelle, hôtel du Gaillardbois… je payais grassement la bonne… elle doit se souvenir de moi…
CORDENBOIS
Eh bien ?
COLLADAN
Après ?
CHAMPBOURCY
Je me fais adresser la réponse de Baucantin à l'hôtel du Gaillardbois ; nous nous y installons, nous y vivons confortablement, mais sans luxe… et, quand les cinq cents francs arriveront…
CORDENBOIS
J'irai reprendre mes habits chez M. Babin.
CHAMPBOURCY
Qu'est-ce que vous dites de ça?
CORDENBOIS
C'est du génie !
COLLADAN
Vous êtes un ange !…
CHAMPBOURCY (enthousiasmé.)
Je ne suis pas un ange… Je suis doué… voilà tout. Je vais acheter un timbre… de là, j'entre dans un café, je demande une plume, de l'encre…
COLLADAN
Allons à l'économie.
CHAMPBOURCY
Ça ne se paye pas !… Vous, tâchez de réveiller Léonida.
(Il sort par le fond, à gauche.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
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