BENJAMIN (rangeant.)
Huit heures… je suis en avance… les déjeuners ne commencent pas avant onze heures.
SYLVAIN (entrant timidement par le fond de droite et regardant les peintures.)
Oh ! non !… c'est trop beau ici.
BENJAMIN
Que désire Monsieur ?
SYLVAIN
Un renseignement… Il faut vous dire qu'hier, au Casino, j'ai fait une connaissance… elle s'appelle Miranda… la Sensitive.
BENJAMIN
Je connais !
SYLVAIN
Ah !… elle m'a donné rendez-vous ici pour déjeuner…
BENJAMIN
A huit heures du matin ?
SYLVAIN
Non… à dix heures et demie… Mais je voudrais savoir auparavant si l'on peut déjeuner, à deux, dans un cabinet particulier pour dix-sept francs… je n'ai que cela… si c'était plus… je la lâcherais.
BENJAMIN
Dame ! Ça dépend de ce que vous prendrez…
SYLVAIN
Ah! voilà!… vous avez l'air d'un bon garçon… indiquez-moi donc des petits plats pas chers…
BENJAMIN (à part.)
II est drôle, ce monsieur. (Haut.)
Nous avons le bœuf en vinaigrette.
SYLVAIN
Excellent !
BENJAMIN
Le bifteck… les omelettes…
SYLVAIN
II me faudrait un petit plat sucré… quelque chose de doux… dans des prix doux.
BENJAMIN
Voulez-vous des pruneaux?…
SYLVAIN
Oh!… farceur!
BENJAMIN
Tenez… il reste d'hier une tarte aux fraises.
SYLVAIN
Elle n'est pas entamée, votre tarte?…
BENJAMIN
Oh ! non !
SYLVAIN
Très bien!… je la retiens! (Tirant son porte-cigares.)
Voulez-vous un cigare ?
BENJAMIN
Volontiers ! (Il en prend un et l'examine.)
Ah ! ce sont des cigares d'un sou… merci!
(Il le remet.)
SYLVAIN (s'asseyant à la table de gauche, premier plan, et voulant allumer son cigare.)
Vous aimez mieux les bons, vous ?
BENJAMIN (allant ranger la table de droite.)
Je ne fume que des londrès…
SYLVAIN
J'en fumerais bien aussi… mais c'est papa…
BENJAMIN
Ah ! vous avez un père ?
SYLVAIN
Le meilleur des hommes !… mais une espèce de paysan borné, qui laboure à La
Ferté-sous-Jouarre… n'a-t-il pas eu l'idée de faire de moi un fermier !
BENJAMIN
C'est une noble profession.
SYLVAIN
Noble, mais salissante !… moi, je voulais être photographe… on voit des femmes, papa n'a pas voulu… il m'a envoyé à l'école de Grignon.
BENJAMIN
Pour apprendre l'agriculture?
SYLVAIN
Oui, dans l'agriculture, moi, je ne comprends que la carotte… (Il se lève.)
Une fois arrivé là-bas, on m'a installé avec les vaches, on m'a fait charrier du fumier… un tas de choses malpropres… alors, au bout de trois jours… j'ai lâché… sans rien dire à papa.
BENJAMIN
Mais s'il apprenait…
SYLVAIN
Oh ! je ne suis pas bête ! je lui écris tous les mois… je vais à Grignon mettre ma lettre à la poste… et chercher les cent francs qu'il m'envoie pour ma pension…
BENJAMIN
Cent francs!… c'est sec!
SYLVAIN
Les premiers jours du mois, ça va encore… mais, à partir du 5… je suis gêné…
Aussi, je voudrais faire quelque chose… si je trouvais un petit commerce… Tiens ! une idée ! qu'est-ce que vous gagnez, vous?
BENJAMIN
Ça dépend des pourboires… trois cents francs par mois environ…
SYLVAIN
Mazette !… je ne rougirais pas d'être garçon de café, moi!
BENJAMIN (froissé.)
Mais il n'y a pas de quoi rougir !
SYLVAIN
D'abord, on est toujours frisé… et puis on voit des femmes !
BENJAMIN
Oui, mais c'est bien excitant.
SYLVAIN
Ça m'est égal… Dites donc, mon petit… comment vous appelez-vous ?
BENJAMIN
Benjamin.
SYLVAIN
Eh bien, si tu entendais parler qu'on ait besoin d'un jeune homme… pense à moi !…
BENJAMIN (à part.)
II me tutoie!… (Haut.)
Sois tranquille!
SYLVAIN (remontant.)
Comme ça, je peux marcher avec mes dix-sept francs?…
BENJAMIN
Parfaitement.
SYLVAIN
Alors retiens-moi un cabinet…
BENJAMIN (lui indiquant la gauche.)
Le petit 4… sur le boulevard…
SYLVAIN
Et si je n'étais pas arrivé quand Miranda viendra… tu la ferais monter par l'escalier réservé.
BENJAMIN
Très bien… ne t'en occupe pas.
SYLVAIN
Tu viendras prendre le café avec nous. (Lui donnant une poignée de main.)
Adieu !
(Il sort, par le fond, à droite.)
BENJAMIN
Adieu !
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...