ALIDOR
(tirant une pomme de sa poche et mordant à même.)
Dites donc, père Mouillebec… c'est du beau monde ici…
MOUILLEBEC
(tirant de sa poche, enveloppé dans du papier, un gâteau dit chausson et mordant dedans.)
Je crois bien!… une dame qui se lève à midi! (Apercevant un habit galonné sur une chaise, au fond à droite.)
Oh! la belle livrée !
(Il va admirer l'habit.)
ALIDOR
(voyant l'album que JUSTIN a laissé ouvert.)
Et des images!… regardez donc celle-là! (Lisant.)
"Panthéon Nadar…" qu'est-ce que ça veut dire?… vous qu'êtes un homme instruit…
MOUILLEBEC
(mettant ses lunettes.)
Voyons?… "Panthéon Nadar…" Panthéon… je comprends ça… ça vient du grec…
ALIDOR
Ça signifie bâtiment!
MOUILLEBEC
Mais Nadar?… c'est Nadar qui m'embarrasse… je cherche la racine…
ALIDOR
Ne vous fatiguez pas… nous la demanderons au garçon!
(Il jette son trognon de pomme par terre.)
MOUILLEBEC
(le ramassant et le portant dans la cheminée.)
Je vous en prie, monsieur le marquis, ne jetez pas vos trognons sur le tapis… nous sommes dans le monde!
ALIDOR
Peut-on s'asseoir?
MOUILLEBEC
Je n'y vois pas d'inconvénient.
(Tous deux s'asseyent, MOUILLEBEC sur le sofa, ALIDOR près du guéridon de gauche.)
ALIDOR
Je n'ai pas l'habitude de marcher sur le pavé… les pieds me font mal… je donnerais bien quatre sous pour ôter mes bottes. (Faisant un mouvement.)
Bah! je vais les ôter!
(Il se lève.)
MOUILLEBEC
(vivement et se levant.)
Arrêtez! ça ne se fait pas!… à moins d'en avoir obtenu l'autorisation préalable de la maîtresse de la maison…
ALIDOR
Je connais les convenances… j'attendrai que cette dame soit là!…
(Il se rassied.)
MOUILLEBEC
(se rasseyant aussi.)
Tiens! j'ai oublié d'écrire les pommes… (Il tire un calepin de sa poche.)
Comme l'argent file à
Paris! (Lisant sa dépense.)
"Un fiacre pour aller rue Taitbout chez le comte de Furetières… trente sous."
ALIDOR
C'est pas cher… deux chevaux, quatre roues… et un cocher…
MOUILLEBEC
Oui… mais c'est trente sous de fichus!…
ALIDOR
Son portier nous a dit : "Il n'y est pas… il est à Clichy pour dettes…"
MOUILLEBEC
(lisant.)
"Deuxième fiacre pour nous faire conduire à sa villa de Clichy pour dettes… trente sous." Il faut convenir qu'il habite une jolie maison !
ALIDOR
Je vous en réponds… et il a un soldat à sa porte… même qu'il était dans sa guérie.
MOUILLEBEC
Guérie … guérite!
ALIDOR
Comment! guérite à présent? c'est vous-même qui m'avez dit guérie!
MOUILLEBEC
Guérie… pour la migraine!… mais pour le soldat… guérite!
ALIDOR
Mais qu'est-ce que ça lui fait au soldat? guérie! guérite! ah ! voilà un mot asticotant !
MOUILLEBEC
(se levant.)
Ce comte est un homme charmant… il était en train de boire du Champagne avec une de ses parentes…
ALIDOR
(se levant aussi.)
Appelée la Cocarde… mademoiselle la Cocarde!…
MOUILLEBEC
Je lui ai remis la lettre…
ALIDOR
Notre mission secrète…
MOUILLEBEC
Et il s'est mis à rire…
ALIDOR
Et la petite donc! elle se tortillait… comme si elle avait avalé une anguille… vivante!
MOUILLEBEC
Alors le comte nous a dit : "Il m'est impossible de vous rendre le service qu'on me demande, je ne puis pas sortir, je suis retenu ici…"
ALIDOR
"Mais… qu'il a ajouté, je connais une dame très élancée…"
MOUILLEBEC
(le reprenant.)
Très lancée!…
ALIDOR
J'ai entendu très élancée… "Dans le monde… madame de Saint-Albano… je vais vous donner une lettre pour elle… et elle se fera un vrai plaisir de vous être agriable."
MOUILLEBEC
(le reprenant.)
Agréable !
ALIDOR
J'ai entendu agriable!
MOUILLEBEC
Et il nous a accompagnés jusqu'à la porte, en nous criant dans l'escalier : "Surtout n'oubliez pas de montrer le portefeuille!…" ça, par exemple, je n'ai pas trop compris…
ALIDOR
Moi non plus!… mais puisque c'est une mission secrète !
MOUILLEBEC
C'est juste!… ah! saperlotte!
(Il reprend son calepin.)
ALIDOR
Vous vous êtes mordu?
MOUILLEBEC
(s'asseyant sur le divan circulaire.)
Non !… j'ai oublié d'écrire notre déjeuner de ce matin. (Écrivant.)
Douze sardines et un carafon d'orgeat !
ALIDOR
(qui s'est assis à côté de MOUILLEBEC.)
C'est moi qui ai eu l'idée de l'orgeat!… je me suis dit : "Faut faire nos farces !…"
MOUILLEBEC
Oui… et c'est pendant ce temps-là qu'on m'a chipé mon chapeau!… on m'a laissé celui-là à la place…
(Il montre le chapeau qu'il tient.)
ALIDOR
Il est gentil !
MOUILLEBEC
(le mettant sur sa tête.)
Oui… mais il ne me va pas!…
ALIDOR
Voyons… (Il l'essaye à son tour.)
A moi non plus! (Le lui rendant.)
Tenez-le toujours à la main… on pourra croire qu'il vous va!
MOUILLEBEC
(regardant à gauche.)
Du monde.! levons-nous!
(Ils se lèvent.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...