Les Petites Mains
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ACTE III - Scène première

Eugène Labiche

ACTE III - Scène première


Jules, Anna

Anna
Ainsi, mon billet vous est arrivé top tard ?

Jules
Oui, mademoiselle… Je venais d'acheter tous les cotons disponibles… La baisse est venue.

Anna
Et vous perdez beaucoup ?

Jules
Oh ! une bagatelle… quinze mille francs ! Mais comment se fait-il que M. votre père… qui ne se trompe jamais… ?

Anna
Oh ! mon père… je ne suis pas contente de lui… D'abord il m'a acheté un chapeau vert… de vive force !

Jules
C'est un abus de pouvoir.

Anna
Ensuite il m'a trompée comme dans un bois.

Jules
Comment ?

Anna
Il paraît que, lorsqu'il annonce la hausse, cela signifie la baisse… et réciproquement ! Je ne pouvais pas deviner cela ! mais, maintenant que je connais ses ruses, nous allons jouer à coup sûr… Ce matin, il a dit à quelqu'un : "Les savons vont monter !…"

Jules
Alors vous me conseillez d'acheter des savons ?

Anna
Mais, pas du tout, ils vont monter… Ca veut dire qu'ils vont baisser… donc, il faut en vendre.

Jules
Mais je n'en ai pas, mademoiselle.

Anna
Mon Dieu, que vous êtes jeune en affaires… Vous vendez à terme et à découvert… Suivez-moi bien.

Jules (sans comprendre.)
À découvert… Bon !

Anna
Et, quand les savons auront baissé… vous les rachèterez. On vous payera la différence… Il n'y a rien de plus simple.

Jules
Très bien. Je vends du savon… sans savon… Ca monte ; je rachète… et on me paye la différence.

Anna (remontant.)
Voilà.

Jules
Voilà… (À part.)
Quel gâchis ! Et M. Courtin prétend que c'est utile à la société, ces machines-là !

Anna
Ayez confiance ! J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer. Mon père est parfaitement disposé pour vous.

Jules
Est-il possible !

Anna
Hier, nous avons causé sérieusement… vous veniez de sortir. Vous lui plaisez.

Jules
Cependant je ne suis pas encore commerçant.

Anna
Comment ! vous avez perdu quinze mille francs sur les cotons. Il me semble que c'est un titre.

Jules (avec joie.)
Oh ! je ne les regrette pas !

Anna
Priez madame votre sœur de venir faire la demande aujourd'hui… et, cette fois, elle sera bien reçue.

Jules
Tout de suite ! Je cours chez elle.

Anna
Et ensuite à la Bourse… ne la quittez pas… marchez courez, criez ! Il faut qu'on vous y remarque.

Jules
La Bourse ! Mon Dieu, que c'est ennuyeux ! Adieu, mademoiselle… (Il lui prend la main.)
Il faut avouer que nous avons de singulières conversations ! Je me sentirais bien plus de courage si vous vouliez me permettre…

Anna
Quoi donc ?

Jules
D'embrasser cette petite main, qui tremble dans la mienne.

Anna (retirant vivement sa main.)
Non, monsieur… Après la Bourse.

Jules (tristement.)
Allons ! Allons à la Bourse !
(Il sort.)


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