Vatinelle ; puis Amélie ; puis Courtin
Vatinelle (seul)
Et on parle des belles-mères !… mais c'est de la pâte de guimauve à côté de ceci ! O Seigneur qui m'écoutez, donnez-moi la richesse, et je fais vœu de fonder une cage au Jardin des Plantes avec cette inscription : Beau-père alligator… donné par M. de Vatinelle !
Amélie (entrant.)
Vous m'avez fait demander, monsieur ?
Vatinelle
Oui, madame… M. votre père m'a signifié vosnouvelles dispositions… avec une grâce qui n'appartient qu'à son institution et je désire vous rendre mes comptes.
Anna
Oh ! c'est parfaitement inutile !
Vatinelle
Oh ! pardon, madame !… j'y tiens… Tout caissier qui reçoit son congé doit rendre ses comptes… c'est l'usage dans toutes les maisons de commerce… Demandez à votre père.
Amélie
Mais, monsieur…
Vatinelle (montrant une chaise.)
Madame, je vous en prie. Voici les recettes et voici les dépenses… Reste en caisse quatorze francs cinq centimes… Ah ! nous avons fait peu d'économies ce trimestre… les hivers sont ruineux à Paris… et puis nous avons eu les étrennes… Mais voici la belle saison… et votre nouveau gérant sera sans doute plus heureux… C'est un homme fort capable… un Normand !
Amélie (avec dignité.)
C'est mon père, monsieur !
Vatinelle
Je ne le sais que trop, madame… Je relève ici pour mémoire une somme de deux mille cinq cents francs pour un cachemire non payé !
Anna
Un cachemire !
Vatinelle
Ceci rentre dans ma dépense personnelle… Ne vous inquiétez pas… c'est moi qui le payerai.
Anna
Je devine la destination de ce cachemire… Il doit suivre sans doute certain mobilier…
Vatinelle
Non, madame… le voici !… Veuillez me permettre de vous l'offrir… c'est une surprise.
Anna
Comment ! Georges…
Vatinelle
La dernière sans doute… car, à mon grand regret, mes moyens ne me permettront pas de longtemps de vous en faire de semblables.
Anna
Je n'entends pas que votre position soit diminuée.
Vatinelle
Respectons la coutume de Normandie ! On nous a maçonné là-bas un contrat avec des séparations, des compartiments, des cloisons…. on nous a mariés sous le régime cellulaire… Soumettons-nous !
Amélie (vivement.)
Georges !… vous voulez me quitter ?
Vatinelle
Non madame… rassurez-vous… Je ne veux pas qu'on prenne madame de Vatinelle pour une de ces épouses sans mari, qu'on voit flotter à la surface des sociétés douteuses !… Pour vous, pour moi, je resterai. Je resterai, mais je payerai pension.
Anna
Vous êtes cruel, Georges…
Vatinelle
Cruel, avec vous ? non, madame !… Il y a desfemmes avec lesquelles la raillerie serait une lâcheté… ce sont celles qui, se croyant trompées, se défendent avec leur cœur, avec leurs larmes, avec leur douleur… Mais il en est d'autres pleines de sang-froid, de présence d'esprit… dont l'œil reste sec, le cœur impassible… qui se contentent d'étendre le bras et de mettre la main sur l'argent… sur le sac !… Avec celles-là, madame, on ne craint jamais d'être cruel !
Anna
Est-ce bien vous qui me parlez ainsi ?… Georges, je ne vous demande qu'un mot… donnez-moi votre parole d'honnête homme que vous ne connaissez pas cette femme ?
Vatinelle
Non, madame… cela ne m'est plus permis, on m'accuserait d'avoir voulu reconquérir la clef de la caisse !
Anna
Dites plutôt que vous avez peur de vous parjurer !
Vatinelle
Comme vous voudrez. (Il remet son pince-nez et consulte ses notes.)
"Exercice d'avril…"
Anna
Assez, monsieur !… je ne me prêterai pas plus longtemps à cette odieuse comédie !
Vatinelle
Je n'insiste pas… Il me reste à vous remettre ces quatre mille francs à compte sur les loyers de votre maison… Le concierge… votre concierge ! ignorant ma destitution, vient de me les apporter à l'instant, je me suis permis de les encaisser… Les voici… Comptez, madame !…
(Il les lui remet.)
Amélie (les prenant.)
C'est bien !
Vatinelle
Comptez donc… Vous ne voulez pas ?… Alors je compterai moi-même. (Reprenant les billets.)
Permettez ! (comptant.)
Un, deux, vous regardez, madame ? trois, quatre. C'est parfaitement exact.
(Il les lui redonne.)
Amélie (les froissant.)
Merci !
Vatinelle
Maintenant, madame, permettez-moi de former des vœux pour que M. votre nouveau gérant accroisse rapidement votre fortune… Il connaît les bonnes valeurs, les placements sûrs et avantageux. Je vous souhaite beaucoup d'Orléans, considérablement de Lyon…
Anna
Assez, monsieur !
Vatinelle
Je ne vous en fais pas de reproches… mais on paraît aimer l'argent dans votre famille ; et vous-même…
Anna
Moi ?
(Elle jette au feu les billets de banque qu'elle tient.)
Vatinelle
Amélie !…
(Il les ramasse vivement.)
Amélie (avec dédain.)
Oh ! vous les ramassez !
Vatinelle (froidement.)
Permettez que j'allume mon cigare…
(Il allume un cigare avec les billets de banque, puis il les rejette dans la cheminée.)
Amélie (à part)
Il a bien fait !
Vatinelle (saluant)
Madame…
(Il remonte.)
Courtin (entrant et rencontrant Vatinelle)
Eh bien, mon gendre… où allez-vous donc ?
Vatinelle
Chercher une place.
Courtin
Ah ! enfin !…
(Il lui ouvre ses bras. Vatinelle met son chapeau et sort.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...