(LUCIDOR, ANGÉLIQUE, LISETTE, MAÎTRE BLAISE.)
MAÎTRE BLAISE
Je requiers la parmission d'interrompre, pour avoir la déclaration de voute darnière volonté, Mademoiselle, retenez-vous voute amoureux nouviau venu ?
ANGÉLIQUE
Non, laissez-moi.
MAÎTRE BLAISE
Me retenez-vous, moi ?
ANGÉLIQUE
Non.
MAÎTRE BLAISE
Une fois, deux fois, me voulez-vous ?
ANGÉLIQUE
L'insupportable homme !
LISETTE
Êtes-vous sourd, Maître Blaise ? Elle vous dit que non.
MAÎTRE BLAISE(à Lisette.)
Oui, ma mie.(À Lucidor.)
Ah çà, Monsieur, je vous prends à témoin comme quoi je l'aime, comme quoi alle me repousse, que, si elle ne me prend pas, c'est sa faute, et que ce n'est pas sur moi qu'il en faut jeter l'endosse.(À Lisette, à part.)
Bonjour, poulet.(Et puis à tous.)
Au demeurant, ça ne me surprend point ; Mademoiselle Angélique en refuse deux, alle en refuserait trois ; alle en refuserait un boissiau ; il n'y en a qu'un qu'alle envie, tout le reste est du fretin pour alle, hormis Monsieur Lucidor, que j'ons deviné drès le commencement.
ANGÉLIQUE(outrée.)
Monsieur Lucidor !
MAÎTRE BLAISE
Li-même, n'ons-je pas vu que vous pleuriez quand il fut malade, tant vous aviez peur qu'il ne devînt mort ?
LUCIDOR
Je ne croirai jamais ce que vous dites là ; Angélique pleurait par amitié pour moi ?
ANGÉLIQUE
Comment, vous ne croirez pas ! Vous ne seriez pas un homme de bien de le croire. M'accuser d'aimer, à cause que je pleure ; à cause que je donne des marques de bon coeur ! Eh mais ! Je pleure tous les malades que je vois, je pleure pour tout ce qui est en danger de mourir ; si mon oiseau mourait devant moi, je pleurerais ; dira-t-on que j'ai de l'amour pour lui ?
LISETTE
Passons, passons là-dessus ; car, à vous parler franchement, je l'ai cru de même.
ANGÉLIQUE
Quoi ! Vous aussi, Lisette ? Vous m'accablez, vous me déchirez. Eh ! Que vous ai-je fait ? Quoi ! Un homme qui ne songe point à moi, qui veut me marier à tout le monde, et je l'aimerais, moi, qui ne pourrais pas le souffrir s'il m'aimait, moi qui ai de l'inclination pour un autre ? J'ai donc le coeur bien bas, bien misérable ; ah ! Que l'affront qu'on me fait m'est sensible !
LUCIDOR
Mais en vérité, Angélique, vous n'êtes pas raisonnable ; ne voyez-vous pas que ce sont nos petites conversations qui ont donné lieu à cette folie qu'on a rêvée, et qu'elle ne mérite pas votre attention ?
ANGÉLIQUE
Hélas ! Monsieur, c'est par discrétion que je ne vous ai pas dit ma pensée ; mais je vous aime si peu, que, si je ne me retenais pas, je vous haïrais, depuis ce mari que vous avez mandé de Paris ; oui, Monsieur, je vous haïrais, je ne sais trop même si je ne vous hais pas, je ne voudrais pas jurer que non, car j'avais de l'amitié pour vous, et je n'en ai plus ; est-ce là des dispositions pour aimer ?
LUCIDOR
Je suis honteux de la douleur où je vous vois, avez-vous besoin de vous défendre, dès que vous en aimez un autre, tout n'est-il pas dit ?
MAÎTRE BLAISE
Un autre galant ? Alle serait, morgué ! bian en peine de le montrer.
ANGÉLIQUE
En peine ? Eh bien ! Puisqu'on m'obstine, c'est justement lui qui parle, cet indigne.
LUCIDOR
Je l'ai soupçonné.
MAÎTRE BLAISE
Moi !
LISETTE
Bon ! Cela n'est pas vrai.
ANGÉLIQUE
Quoi ! Je ne sais pas l'inclination que j'ai ? Oui, c'est lui, je vous dis que c'est lui !
MAÎTRE BLAISE
Ah ! Çà, Mademoiselle, ne badinons point ; ça n'a ni rime ni raison. Par votre foi, est-ce ma personne qui vous a pris le coeur ?
ANGÉLIQUE
Oh ! Je l'ai assez dit. Oui, c'est vous, malhonnête que vous êtes ! Si vous ne m'en croyez pas, je ne m'en soucie guère.
MAÎTRE BLAISE
Eh mais ! Jamais voute mère n'y consentira.
ANGÉLIQUE
Vraiment, je le sais bien.
MAÎTRE BLAISE
Et pis, vous m'avez rebuté d'abord, j'ai compté là-dessus, moi, je me sis arrangé autrement.
ANGÉLIQUE
Eh bien ! Ce sont vos affaires.
MAÎTRE BLAISE
On n'a pas un coeur qui va et qui vient comme une girouette : faut être fille pour ça ; on se fie à des refus.
ANGÉLIQUE
Oh ! Accommodez-vous, benêt.
MAÎTRE BLAISE
Sans compter que je ne sis pas riche.
LUCIDOR
Ce n'est pas là ce qui embarrassera, et j'aplanirai tout ; puisque vous avez le bonheur d'être aimé, Maître Blaise, je donne vingt mille francs en faveur de ce mariage, je vais en porter la parole à Madame Argante, et je reviens dans le moment vous en rendre la réponse.
ANGÉLIQUE
Comme on me persécute !
LUCIDOR
Adieu, Angélique, j'aurai enfin la satisfaction de vous avoir mariée selon votre coeur, quelque chose qu'il m'en coûte.
ANGÉLIQUE
Je crois que cet homme-là me fera mourir de chagrin.
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