L'Épreuve
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Scène XIX

Marivaux

Scène XIX


(LUCIDOR, ANGÉLIQUE, LISETTE.)

LUCIDOR
Il n'est pas si aisé de vous quitter, Angélique ; mais je vous débarrasserai de lui.

LISETTE
Quelle perte ! Un homme qui lui faisait sa fortune !

LUCIDOR
Il y a des antipathies insurmontables ; si Angélique est dans ce cas-là, je ne m'étonne point de son refus, et je ne renonce pas au projet de l'établir avantageusement.

ANGÉLIQUE
Eh, Monsieur ! Ne vous en mêlez pas. Il y a des gens qui ne font que nous porter guignon.

LUCIDOR
Vous porter guignon, avec les intentions que j'ai ! Et qu'avez-vous à reprocher à mon amitié ?

ANGÉLIQUE(à part.)
Son amitié, le méchant homme !

LUCIDOR
Dites-moi de quoi vous vous plaignez.

ANGÉLIQUE
Moi, Monsieur, me plaindre ! Eh ! Qui est-ce qui y songe ? Où sont les reproches que je vous fais ? Me voyez-vous fâchée ? Je suis très contente de vous ; vous en agissez on ne peut pas mieux ; comment donc ! Vous m'offrez des maris tant que j'en voudrai ; vous m'en faites venir de Paris sans que j'en demande : y a-t-il rien là de plus obligeant, de plus officieux ? Il est vrai que je laisse là tous vos mariages ; mais aussi il ne faut pas croire, à cause de vos rares bontés, qu'on soit obligé, vite et vite, de se donner au premier venu que vous attirerez de je ne sais où, et qui arrivera tout botté pour m'épouser sur votre parole ; il ne faut pas croire cela, je suis fort reconnaissante, mais je ne suis pas idiote.

LUCIDOR
Quoi que vous en disiez, vos discours ont une aigreur que je ne sais à quoi attribuer, et que je ne mérite point.

LISETTE
Ah ! J'en sais bien la cause, moi, si je voulais parler.

ANGÉLIQUE
Hem ! Qu'est-ce que c'est que cette science que vous avez ? Que veut-elle dire ? Écoutez, Lisette, je suis naturellement douce et bonne ; un enfant a plus de malice que moi ; mais si vous me fâchez, vous m'entendez bien ? Je vous promets de la rancune pour mille ans.

LUCIDOR
Si vous ne vous plaignez pas de moi, reprenez donc ce petit présent que je vous avais fait, et que vous m'avez rendu sans me dire pourquoi.

ANGÉLIQUE
Pourquoi ? C'est qu'il n'est pas juste que je l'aie. Le mari et les bijoux étaient pour aller ensemble, et en rendant l'un, je rends l'autre. Vous voilà bien embarrassé ; gardez cela pour cette charmante beauté dont on vous a apporté le portrait.

LUCIDOR
Je lui en trouverai d'autres ; reprenez ceux-ci.

ANGÉLIQUE
Oh ! Qu'elle garde tout, Monsieur, je les jetterais.

LISETTE
Et moi je les ramasserai.

LUCIDOR
C'est-à-dire que vous ne voulez pas que je songe à vous marier, et que, malgré ce que vous m'avez dit tantôt, il y a quelque amour secret dont vous me faites mystère.

ANGÉLIQUE
Eh mais, cela se peut bien, oui, Monsieur, voilà ce que c'est, j'en ai pour un homme d'ici, et quand je n'en aurais pas, j'en prendrais tout exprès demain pour avoir un mari à ma fantaisie.


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