(LISETTE, FRONTIN.)
FRONTIN(à part.)
Mon mérite a manqué son coup.
LISETTE(à part.)
C'est Frontin, c'est lui-même.
FRONTIN(les premiers mots à part.)
Voici le plus fort de ma besogne ici ;(Haut)
Ma mie, que dois-je conjecturer d'un aussi langoureux accueil ?(Elle ne répond pas, et le regarde. Il continue)
Eh bien ! Répondez donc. Allez-vous me dire aussi que ce sera pour une autre fois ?
LISETTE
Monsieur, ne t'ai-je pas vu quelque part ?
FRONTIN
Comment donc ? Ne t'ai-je pas vu quelque part ? Ce village-ci est bien familier.
LISETTE(à part les premiers mots.)
Est-ce que je me tromperais ?(Haut)
Monsieur, excusez-moi ; mais n'avez-vous jamais été à Paris chez une Madame Dorman, où j'étais ?
FRONTIN
Qu'est-ce que c'est que Madame Dorman ? Dans quel quartier ?
LISETTE
Du côté de la place Maubert, chez un marchand de café, au second.
FRONTIN
Une place Maubert, une Madame Dorman, un second ! Non, mon enfant, je ne connais point cela, et je prends toujours mon café chez moi.
LISETTE
Je ne dis plus mot, mais j'avoue que je vous ai pris pour Frontin, et il faut que je me fasse toute la violence du monde pour m'imaginer que ce n'est point lui.
FRONTIN
Frontin ! Mais c'est un nom de valet.
LISETTE
Oui, Monsieur, et il m'a semblé que c'était toi… Que c'était vous, dis-je.
FRONTIN
Quoi ! toujours des tu et des toi ! Vous me lassez à la fin.
LISETTE
J'ai tort, mais tu lui ressembles si fort !… Eh ! Monsieur, pardon. Je retombe toujours ; quoi ! Tout de bon, ce n'est pas toi… je veux dire, ce n'est pas vous ?
FRONTIN(riant.)
Je crois que le plus court est d'en rire moi-même ; allez, ma fille, un homme moins raisonnable et de moindre étoffe se fâcherait ; mais je suis trop au-dessus de votre méprise, et vous me divertiriez beaucoup, n'était le désagrément qu'il y a d'avoir une physionomie commune avec ce coquin-là. La nature pouvait se passer de lui donner le double de la mienne, et c'est un affront qu'elle m'a fait, mais ce n'est pas votre faute ; parlons de votre maîtresse.
LISETTE
Oh ! Monsieur, n'y ayez point de regret ; celui pour qui je vous prenais est un garçon fort aimable, fort amusant, plein d'esprit et d'une très jolie figure.
FRONTIN
J'entends bien, la copie est parfaite.
LISETTE
Si parfaite que je n'en reviens point, et tu serais le plus grand maraud… Monsieur, je me brouille encore, la ressemblance m'emporte.
FRONTIN
Ce n'est rien, je commence à m'y faire : ce n'est pas à moi à qui vous parlez.
LISETTE
Non, Monsieur, c'est à votre copie, et je voulais dire qu'il aurait grand tort de me tromper ; car je voudrais de tout mon coeur que ce fût lui ; je crois qu'il m'aimait, et je le regrette.
FRONTIN
Vous avez raison, il en valait bien la peine.(Et à part.)
Que cela est flatteur !
LISETTE
Voilà qui est bien particulier ; à chaque fois que vous parlez, il me semble l'entendre.
FRONTIN
Vraiment, il n'y a rien là de surprenant ; dès qu'on se ressemble, on a le même son de voix, et volontiers les mêmes inclinations ; il vous aimait, dites-vous, et je ferais comme lui, sans l'extrême distance qui nous sépare.
LISETTE
Hélas ! Je me réjouissais en croyant l'avoir retrouvé.
FRONTIN(à part le premier mot.)
Oh ?… Tant d'amour sera récompensé, ma belle enfant, je vous le prédis ; en attendant, vous ne perdrez pas tout, je m'intéresse à vous et je vous rendrai service ; ne vous mariez point sans me consulter.
LISETTE
Je sais garder un secret ; Monsieur, dites-moi si c'est toi…
FRONTIN(en s'en allant.)
Allons, vous abusez de ma bonté ; il est temps que je me retire.(À part, en s'en allant.)
Ouf, le rude assaut !
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