(LUCIDOR, ANGÉLIQUE. Lucidor regarde attentivement Angélique.)
ANGÉLIQUE(en riant.)
À quoi songez-vous donc en me considérant si fort ?
LUCIDOR
Je songe que vous embellissez tous les jours.
ANGÉLIQUE
Ce n'était pas de même quand vous étiez malade. À propos, je sais que vous aimez les fleurs, et je pensais à vous aussi en cueillant ce petit bouquet ; tenez, Monsieur, prenez-le.
(Les yeux baissés, elle fait la révérence en donnant son bouquet.)
LUCIDOR
Je ne le prendrai que pour vous le rendre, j'aurai plus de plaisir à vous le voir.
ANGÉLIQUE
(PREND)
Et moi, à cette heure que je l'ai reçu, je l'aime mieux qu'auparavant.
LUCIDOR
Vous ne répondez jamais rien que d'obligeant.
ANGÉLIQUE
Ah ! Cela est si aisé avec de certaines personnes ; mais que me voulez-vous donc ?
LUCIDOR
Vous donner des témoignages de l'extrême amitié que j'ai pour vous, à condition qu'avant tout, vous m'instruirez de l'état de votre coeur.
ANGÉLIQUE
Hélas ! Le compte en sera bientôt fait ! Je ne vous en dirai rien de nouveau ; ôtez notre amitié que vous savez bien, il n'y a rien dans mon coeur, que je sache, je n'y vois qu'elle.
LUCIDOR
Vos façons de parler me font tant de plaisir, que j'en oublie presque ce que j'ai à vous dire.
ANGÉLIQUE
Comment faire ? Vous oublierez donc toujours, à moins que je ne me taise ; je ne connais point d'autre secret.
LUCIDOR
Je n'aime point ce secret-là ; mais poursuivons : il n'y a encore environ que sept semaines que je suis ici.
ANGÉLIQUE
Y a-t-il tant que cela ? Que le temps passe vite ! Après ?
LUCIDOR
Et je vois quelquefois bien des jeunes gens du pays qui vous font la cour ; lequel de tous distinguez-vous parmi eux ? Confiez-moi ce qui en est comme au meilleur ami que vous ayez.
ANGÉLIQUE
Je ne sais pas, Monsieur, pourquoi vous pensez que j'en distingue, des jeunes gens qui me font la cour ; est-ce que je les remarque ? Est-ce que je les vois ? Ils perdent donc bien leur temps.
LUCIDOR
Je vous crois, Angélique.
ANGÉLIQUE
Je ne me souciais d'aucun quand vous êtes venu ici, et je ne m'en soucie pas davantage depuis que vous y êtes, assurément.
LUCIDOR
Êtes-vous aussi indifférente pour maître Blaise, ce jeune fermier qui veut vous demander en mariage, à ce qu'il m'a dit ?
ANGÉLIQUE
Il me demandera en ce qu'il lui plaira, mais, en un mot, tous ces gens-là me déplaisent depuis le premier jusqu'au dernier, principalement lui, qui me reprochait, l'autre jour, que nous nous parlions trop souvent tous deux, comme s'il n'était pas bien naturel de se plaire plus en votre compagnie qu'en la sienne ; que cela est sot !
LUCIDOR
Si vous ne haïssez pas de me parler, je vous le rends bien, ma chère Angélique : quand je ne vous vois pas, vous me manquez, et je vous cherche.
ANGÉLIQUE
Vous ne cherchez pas longtemps, car je reviens bien vite, et ne sors guère.
LUCIDOR
Quand vous êtes revenue, je suis content.
ANGÉLIQUE
Et moi, je ne suis pas mélancolique.
LUCIDOR
Il est vrai, je vois avec joie que votre amitié répond à la mienne.
ANGÉLIQUE
Oui, mais malheureusement vous n'êtes pas de notre village, et vous retournerez peut-être bientôt à votre Paris, que je n'aime guère. Si j'étais à votre place, il me viendrait plutôt chercher que je n'irais le voir.
LUCIDOR
Eh ! Qu'importe que j'y retourne ou non, puisqu'il ne tiendra qu'à vous que nous y soyons tous deux ?
ANGÉLIQUE
Tous deux, Monsieur Lucidor ! Eh mais ! Contez-moi donc comme quoi.
LUCIDOR
C'est que je vous destine un mari qui y demeure.
ANGÉLIQUE
Est-il possible ? Ah çà, ne me trompez pas, au moins, tout le coeur me bat ; loge-t-il avec vous ?
LUCIDOR
Oui, Angélique ; nous sommes dans la même maison.
ANGÉLIQUE
Ce n'est pas assez, je n'ose encore être bien aise en toute confiance. Quel homme est-ce ?
LUCIDOR
Un homme très riche.
ANGÉLIQUE
Ce n'est pas là le principal ; après.
LUCIDOR
Il est de mon âge et de ma taille.
ANGÉLIQUE
Bon ; c'est ce que je voulais savoir.
LUCIDOR
Nos caractères se ressemblent, il pense comme moi.
ANGÉLIQUE
Toujours de mieux en mieux, que je l'aimerai !
LUCIDOR
C'est un homme tout aussi uni, tout aussi sans façon que je le suis.
ANGÉLIQUE
Je n'en veux point d'autre.
LUCIDOR
Qui n'a ni ambition, ni gloire, et qui n'exigera de celle qu'il épousera que son coeur.
ANGÉLIQUE(vivement.)
Il l'aura, Monsieur Lucidor, il l'aura, il l'a déjà ; je l'aime autant que vous, ni plus ni moins.
LUCIDOR
Vous aurez le sien, Angélique, je vous en assure, je le connais ; c'est tout comme s'il vous le disait lui-même.
ANGÉLIQUE
Eh ! Sans doute, et moi je réponds aussi comme s'il était là.
LUCIDOR
Ah ! Que de l'humeur dont il est, vous allez le rendre heureux !
ANGÉLIQUE
Ah ! Je vous promets bien qu'il ne sera pas heureux tout seul.
LUCIDOR
Adieu, ma chère Angélique ; il me tarde d'entretenir votre mère et d'avoir son consentement. Le plaisir que me fait ce mariage ne me permet pas de différer davantage ; mais avant que je vous quitte, acceptez de moi ce petit présent de noce que j'ai droit de vous offrir, suivant l'usage, et en qualité d'ami ; ce sont de petits bijoux que j'ai fait venir de Paris.
(Il lui donne un écrin.)
ANGÉLIQUE
Et moi je les prends, parce qu'ils y retourneront avec vous, et que nous y serons ensemble ; mais il ne fallait point de bijoux, c'est votre amitié qui est le véritable.
LUCIDOR
Adieu, belle Angélique ; votre mari ne tardera pas à paraître.
ANGÉLIQUE
Courez donc, afin qu'il vienne plus vite.
(Lucidor sort.)
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