(FRONTIN, LISETTE, ÉRASTE.)
Frontin
Ah ! te voilà, Lisette ! Avec qui es-tu donc là ?
Lisette
Avec un de mes parents qui s'appelle La Ramée, et dont le maître, qui est ordinairement en province, est venu ici pour affaire ; il profite du séjour qu'il y fait pour me voir.
Frontin
Un de tes parents, dis-tu ?
Lisette
Oui.
Frontin
C'est-à-dire un cousin ?
Lisette
Sans doute.
Frontin
Hum ! il a l'air d'un cousin de bien loin ; il n'a point la tournure d'un parent, ce garçon-là.
Lisette
Qu'est-ce que tu veux dire avec ta tournure ?
Frontin
Je veux dire que ce n'est, par ma foi, que de la fausse monnaie que tu me donnes, et que si le diable emportait ton cousin il ne t'en resterait pas un parent de moins.
Éraste
Et pourquoi pensez-vous qu'elle vous trompe ?
Frontin
Hum ! quelle physionomie de fripon ! Mons de La Ramée, je vous avertis que j'aime Lisette et que je veux l'épouser tout seul.
Lisette
Il est pourtant nécessaire que je lui parle pour une affaire de famille qui ne te regarde pas.
Frontin
Oh ! parbleu, que les secrets de ta famille s'accommodent ; moi, je reste.
Lisette
Il faut prendre son parti. Frontin !
Frontin
Après ?
Lisette
Serais-tu capable de rendre service à un honnête homme, qui t'en récompenserait bien ?
Frontin
Honnête homme ou non, son honneur est de trop, dès qu'il récompense.
Lisette
Tu sais à qui madame marie Angélique, ma maîtresse ?
Frontin
Oui, je pense que c'est à peu près soixante ans qui en épousent dix-sept.
Lisette
Tu vois bien que ce mariage-là ne convient point.
Frontin
Oui ; il menace de stérilité ; les héritiers en seront nuls ou auxiliaires.
Lisette
Ce n'est qu'à regret qu'Angélique obéit ; d'autant plus que le hasard lui a fait connaître un aimable homme qui a touché son cœur.
Frontin
Le cousin La Ramée pourrait bien nous venir de là.
Lisette
Tu l'as dit, c'est cela même.
Éraste
Oui, mon enfant, c'est moi.
Frontin
Eh ! que ne le disiez-vous ? En ce cas-là, je vous pardonne votre figure, et je suis tout à vous. Voyons, que faut-il faire ?
Éraste
Rien, si ce n'est favoriser une entrevue que Lisette va me procurer ce soir ; tu seras content de moi.
Frontin
Je le crois ; mais qu'espérez-vous de cette entrevue ? On signe le contrat ce soir.
Lisette
Eh bien, pendant que la compagnie, avant le souper, sera dans l'appartement de madame, monsieur nous attendra dans cette salle, sans lumière pour n'être point vu, et nous y viendrons, Angélique et moi, pour examiner le parti qu'il y aura à prendre.
Frontin
Ce n'est pas de l'entretien que je doute ; mais à quoi aboutira-t-il ? Angélique est une Agnès élevée dans la plus sévère contrainte, et qui, malgré son penchant pour vous, n'aura que des regrets, des larmes et de la frayeur à vous donner. Est-ce que vous avez dessein de l'enlever ?
Éraste
Ce serait un parti bien extrême.
Frontin
Et dont l'extrémité ne vous ferait pas grand'peur, n'est-il pas vrai ?
Lisette
Pour nous, Frontin, nous ne nous chargeons que de faciliter l'entretien, auquel je serai présente ; mais de ce qu'on y résoudra, nous n'y trempons point, cela ne nous regarde pas.
Frontin
Oh ! si fait, cela nous regarderait un peu, si cette petite conversation nocturne que nous leur ménageons dans la salle était découverte ; d'autant plus qu'une des portes de la salle aboutit au jardin, que du jardin on va à une petite porte qui rend dans la rue, et qu'à cause de la salle où nous les mettrons, nous répondrons de toutes ces petites portes-là qui sont de notre connaissance. Mais, tout coup vaille pour se mettre à son aise, il faut quelquefois risquer son honneur. Il s'agit d'ailleurs d'une jeune victime qu'on veut sacrifier, et je crois qu'il est généreux d'avoir part à sa délivrance, sans s'embarrasser de quelle façon elle s'opérera. Monsieur payera bien, cela grossira ta dot, et nous ferons une action qui joindra l'utile au louable.
Éraste
Ne vous inquiétez de rien ; je n'ai point envie d'enlever Angélique, et je ne veux que l'exciter à refuser l'époux qu'on lui destine. Mais la nuit s'approche ; où me retirerai-je en attendant le moment qui me permettra de voir Angélique ?
Lisette
Comme on ne sait encore qui vous êtes, en cas qu'on vous fît quelques questions, au lieu d'être mon cousin, soyez celui de Frontin, et retirez-vous dans sa chambre, qui est à côté de cette salle et d'où Frontin pourra vous amener quand il faudra.
Frontin
Oui-da, monsieur ; disposez de mon appartement.
Lisette
Allez tout à l'heure ; car il faut que je prévienne Angélique, qui assurément sera charmée de vous voir, mais qui ne sait pas que vous êtes ici, et à qui je dirai d'abord qu'il y a un domestique dans la chambre de Frontin qui demande à lui parler de votre part. Mais sortez, j'entends quelqu'un qui vient.
Frontin
Allons, cousin, sauvons-nous.
Lisette
Non, restez : c'est la mère d'Angélique, elle vous verrait fuir ; il vaut mieux que vous demeuriez.
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