ALBERT(éclatant. )
Non, c'est impossible… la position n'est pas tenable !
LUCIE
Qu'avez-vous donc ?
ALBERT
Je ne puis assister plus longtemps au développement de vos effusions, conjugales !… "Bonjour, ma bichette !… Adieu, ma bichette !…" Et il vous embrasse ! et il vous rembrasse ! et moi, je suis là !
LUCIE
Ah ! monsieur Albert !… je ne vous ai promis que l'amitié !
ALBERT
Eh ! l'amitié… Vous n'avez donc pas lu ma lettre ?
LUCIE
Laquelle ?
ALBERT
Celle que j'ai placée dans le copie-lettres… Notre nouvelle cachette depuis que je fais seul la correspondance.
LUCIE
Non… Je ne l'ai pas vue.
ALBERT
Elle ne lit même pas mes lettres !… (Tirant une lettre du copie-lettres.)
Tenez… la voilà !
LUCIE
Donnez-la-moi…
ALBERT(la froissant sans la regarder et la mettant dans sa poche.)
Non ! c'est inutile !… À quoi bon ? Une lettre que j'avais soignée… où j'avais répandu des torrents de passion… Ah ! si c'est ainsi que vous comprenez l'amitié !…
LUCIE
Mais je vous assure que je vous aime bien…
ALBERT
Oui, d'une façon tranquille, calme, nonchalante, gnangnan. (Avec exaltation.)
Mais mon amitié, à moi… c'est une amitié ardente, brûlante, corrosive !
LUCIE
Ah ! vous me faites peur !
ALBERT
Et si vous me repoussez… moi aussi, je monterai sur les tours Notre-Dame, et je me ferai sauter la cervelle.
LUCIE(vivement.)
Non, Albert ! je vous le défends !
ALBERT
Alors accordez-moi une faveur…
LUCIE
Laquelle ?
ALBERT
Laissez-moi vous embrasser… C'est bien peu de chose.
LUCIE
Oh ! non !… Si on venait !…
ALBERT
On ne viendra pas !… (Il va voir à gauche.)
GARGARET(entrant par la droite avec précaution ; il tient toujours sur son bras le paletot de Muserolle. À part.)
Ils sont ensemble ! C'est infernal, ce que je fais là.
(Il se dirige à pas de loup vers l'armoire et s'y cache.)
ALBERT(revenant à Lucie.)
Personne !
LUCIE(se penchant vers lui. )
Vite, dépêchez-vous !… (Albert s'approche pour l'embrasser et s'arrête, humant l'air.)
ALBERT(à part.)
Ca sent le musc ! Muserolle est ici !
LUCIE
Eh bien ?
ALBERT(prêchant.)
Eh bien, comme je vous le disais tout à l'heure, madame, la fidélité est le plus beau diamant de la femme ! Le foyer domestique, la famille !… Il n'y a que ça de vrai !…
LUCIE(à part, très étonnée.)
Qu'est-ce qu'il me dit là ?
ALBERT(à part. )
Ah ! tu m'écoutes. (Haut, continuant.)
Aimez votre mari, madame, aimez-le toujours… Son noble cœur est digne du vôtre, car c'est l'âme la plus noble, l'esprit le plus élevé, l'intelligence la plus vaste. ( On entend des sanglots qui partent de l'armoire.)
LUCIE
Ecoutez… on pleure dans l'armoire… (L'armoire s'ouvre et on aperçoit Gargaret pleurant à chaudes lames.)
Mon mari !
ALBERT
Gargaret !
GARGARET(sur le seuil de l'armoire et pleurant à chaudes lames.)
Imbécile de Muserolle ! J'ai douté de vous !… Albert, dans mes bras ! (Il quitte l'armoire dans laquelle est resté le paletot ; la porte se referme.)
ALBERT
Comment ! tu as entendu ?
GARGARET
Tout ! (Pleurant.)
"Son noble cœur digne du vôtre, l'âme la plus noble… l'intelligence la plus vaste…" (À Lucie.)
Ecoutez-le, madame, écoutez-le toujours…
LUCIE
Oui, mon ami…
GARGARET
Et l'on voulait le ternir ! lui, le plus fidèle, le meilleur des amis !… Mais tu n'as pas affaire à un ingrat… (Tirant un papier de sa poche.)
Tiens, prends ce papier…
ALBERT
Qu'est-ce que c'est ?
GARGARET
Un acte d'association. (Avec émotion.)
Albert… veux-tu devenir mon associé ?
ALBERT
Mais je ne sais si je dois…
GARGARET
Je t'en prie… Ma femme t'en prie aussi… (À Lucie.)
N'est-ce pas que tu veux bien qu'il soit mon associé ?
LUCIE(baissant, les yeux. )
Mais… comme tu voudras, mon ami.
ALBERT
Allons, puisque vous l'exigez… j'accepte… (Il prend le papier.)
LUCIE
Je vous laisse. (À part.)
Mais comment a-t-il pu deviner que mon mari était dans l'armoire ? (Elle sort.)
GARGARET(à Albert.)
Ah ! avant de porter l'acte chez mon notaire… tu le reverras au point de vue de l'orthographe… J'étais pressé… Ainsi, à commandite, faut-il deux t ?…
ALBERT
Mon Dieu… ça dépend… quand on est pressé… on en met deux…
GARGARET
Très bien… J'étais pressé… À bientôt !
ALBERT
À bientôt ! (Il disparaît par le fond.)
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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