Doit-on le dire ?
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ACTE II - Scène XIII

Eugène Labiche

ACTE II - Scène XIII

MUSEROLLE(seul.)
Certainement je ne suis pas un lâcheur, mais, dame ! quand on retrouve sa femme mariée à un autre… Quel toupet !… et quelles épaules ! (Souriant.)
Elle est devenue superbe !… Elle est rondelette… Ce n'est pas à moi qu'elle aurait fait le plaisir d'être rondelette ! Elle me condamnait à un maigre perpétuel.

DUPAILLON(entrant mystérieusement et allant vivement à Muserolle.)
C'est vous que je cherche, monsieur.

MUSEROLLE
Moi ?

DUPAILLON
J'ai eu l'imprudence de glisser un billet dans ma canne…

MUSEROLLE
Ah ! ah !… c'est vous ?

DUPAILLON
J'aime la marquise.

MUSEROLLE
Hein !… La marquise ? et vous venez me dire ça, à moi !

DUPAILLON
Qu'est-ce que ça vous fait ?

MUSEROLLE
Comment, Ce que ça me fait !

DUPAILLON
Vous n'êtes pas son mari.

MUSEROLLE
Si… Non !… pas pour le moment.

DUPAILLON
Maintenant, je viens vous dire ceci : si vous prononcez un mot, un seul, qui puisse compromettre la réputation de Blanche…

MUSEROLLE
Blanche ? Je vous défends de l'appeler Blanche !

DUPAILLON
Mettons la marquise.

MUSEROLLE
À la bonne heure !

DUPAILLON
C'est avec moi qu'il faudra compter… et je vous préviens que je ne badine pas ? Vous me comprenez ?

MUSEROLLE
Parfaitement ; c'est une affaire… (À part.)
Au fait, puisqu'elle a épousé le marquis, c'est lui que ça regarde maintenant, il endosse tout ; je n'ai pas le droit de me battre pour la femme d'un autre… Et moi qui ai remis le billet à Gargaret !

DUPAILLON
Qu'avez-vous décidé ?

MUSEROLLE(avec force. )
Je maintiens carrément mon opinion ! Il faut le dire ! Mais… je ne le dirai pas.

DUPAILLON(le remerciant.)
Ah ! monsieur !

MUSEROLLE
Je suis très carré.

DUPAILLON
Ainsi, vous me promettez le secret ?

MUSEROLLE
Parfaitement, ne vous gênez pas ! Je trouve ça très drôle maintenant. (Riant.)
Ce pauvre marquis ! il a une si bonne tête !

DUPAILLON(riant.)
Ça, c'est vrai !

MUSEROLLE
Une tête chauve… toute préparée pour la plantation ! Tous deux se mettent à rire.

LE MARQUIS(entrant par le fond.)
Tudieu ! quelle gaieté !

MUSEROLLE
Ah ! le voilà ! je suis content de le voir !

LE MARQUIS
Qu'est-ce qui vous faisait rire ?

MUSEROLLE
Rien, ça ne vous amuserait pas…

LE MARQUIS
Dites, dites…

DUPAILLON
Nous… nous faisions une charade.

LE MARQUIS
Ah ! Laquelle ? Je les devine toutes.

MUSEROLLE
Attendez… nous allons rire !… Mon premier est un oiseau vigilant…

DUPAILLON(à part.)
C'est coq.

LE MARQUIS
Allez !

MUSEROLLE
Mon second est une lettre de l'alphabet…

DUPAILLON
à part. Est-ce qu'il ne va pas se taire ?

LE MARQUIS
Allez toujours.

MUSEROLLE
Et mon tout ?…

LE MARQUIS
Votre tout ?

MUSEROLLE
Demandez à M. Dupaillon… il vous dira ça de première main… (À part.)
Je vais détromper Gargaret. (Haut au marquis en sortant.)
Vous ne la devinerez pas, allez ! (Il disparaît.)

LE MARQUIS
C'est ce que nous verrons. (À Dupaillon.)
Voyons… Votre tout ?

DUPAILLON(à part.)
Il me laisse là avec une charade sur les bras.

LE MARQUIS
Eh bien, votre tout ?

DUPAILLON
Eh bien… Mon tout… est un ouvrier charpentier. (À part.)
Cherche ! (Il sort vivement.)

LE MARQUIS(seul. )
J'ai deviné !… C'est Pierre le Grand ! L'oiseau vigilant, c'est pie, la lettre de l'alphabet, R, ça fait Pi-erre, et l'ouvrier charpentier, c'est Pierre le Grand !… Je les devine toutes… c'est un don… Mais quittons ces folies ; il faut que j'aie avec Blanche une conversation sérieuse et définitive.


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