MUSEROLLE(seul.)
Oh ! oui !… il m'a rendu un de ces services !… Ma femme me trompait… oh ! mais carrément ! Moi, je ne me doutais de rien, j'étais heureux, tranquille, confiant… tout le monde le savait et personne n'osait le dire… Eh bien, Gargaret a eu ce courage, il me l'a dit, lui ! il n'a pas craint de briser mon bonheur. Brave ami ! Ce que c'est que le hasard… Gargaret ne connaissait pas ma femme… il ne l'a jamais vue… Un jour, il se trouve dans un cabinet particulier avec… une bergère… qui tenait un bureau de tabac, rue des Prouvaires… Tout à coup, il entend dans le cabinet voisin le bruit d'un baiser… Naturellement, l'homme est curieux… il applique son oreille contre la cloison, et il entend une voix d'homme qui articulait ces mots : "Puisque Muserolle, ton cornichon de mari, — c'était moi, — va demain à la campagne, trouve-toi à midi au Musée, devant le Naufrage de la Méduse…" Admirez-vous le doigt de la Providence ?… Gargaret lâche sa bergère, paye l'addition et vient me conter la chose… J'étais dans mon fauteuil, ma calotte sur la tête, je lisais mon journal… Au premier mot, lui réponds : "Es-tu bête ? Ma femme ! une nature frêle, maigre, qui n'a que le souffle… c'est impossible ! " Il insiste… car il est énergique et tenace, ce Gargaret… sa conviction m'ébranle, et, le lendemain, à midi quatre… Je faisais mon entrée dans le salon carré… Je m'étais mis en noir, c'est plus convenable… Je tournai les yeux vers le Naufrage… et qu'est-ce que j'aperçus ?… ma femme qui roucoulait devant cette grande page… et avec qui ? — ceci est comique, — avec mon notaire, maître Polydore Fragil, celui-là même, qui avait fait mon contrat de mariage !… Ils tournaient le dos, les coudes appuyés sur la balustrade… Aussitôt je fus partagé entre deux tentations bien vives… la première était d'adresser une plainte sévère à la Chambre des notaires !… la seconde… plus sanguinaire peut-être… de lui envoyer mon pied… dans la partie qu'il me présentait… C'est ce que je fis. V'lan ! Il pousse un cri, j'élève la voix, ma femme se trouve mal et les gardiens me flanquent à la porte !… Oh ! justice des sociétés modernes ! Je rentrai chez moi pour attendre la coupable… toujours en noir… comme un juge… (Gaiement.)
Elle ne revint pas… Je ne l'ai plus revue… Bon voyage ! Mais j'en appris de belles sur son compte… La bonne me conta leur moyen de correspondance… Le notaire avait une canne machinée, qui se dévissait par le haut ; il y glissait ses billets doux, et, quand il voulait correspondre avec ma femme, il me disait : "Muserolle, le ciel est nébuleux, prêtez-moi donc un parapluie, je vous laisse ma canne." Et il partait. Sitôt que j'avais le dos tourné, ma femme prenait le billet, glissait sa réponse à la place, et le lendemain, elle me disait : "Muserolle, le ciel est nébuleux… va donc rechercher notre parapluie chez maître Fragil, et reporte-lui sa canne." (Avec force.)
Et j'y allais !… J'étais leur messager d'amour ! Alors je fus pris d'un immense dégoût des hommes, des notaires et des choses… Je quittai Paris, ne laissant mon adresse qu'à Gargaret, mon seul ami… et j'achetai un morceau de forêt dans les Ardennes… Généralement, quand on achète une forêt, c'est pour la scier… Je montai une scierie. Je vis là-bas depuis dix ans comme un sauvage, au milieu des scieurs de long et des charbonniers… Mais, hélas !… pas de charbonnières ! pas de femmes ! et dame, à la longue ! On croit qu'on n'y pensera pas… et on y pense… Aussi, rien que la vue de cette portière… On a beau posséder une forêt, on n'est pas de bois.
JULIETTE(entrant de droite.)
La chambre de Monsieur est prête…
MUSEROLLE
Merci, mon enfant… (La regardant.)
Tiens ! elle est rondelette !… (La lutinant.)
Tu es rondelette… J'aime ce genre de beauté !
JULIETTE(se dégageant en, riant.)
Finissez donc !… Comment ! à votre âge, vous pensez à cela ?
MUSEROLLE
Voilà dix ans que j'y pense !
JULIETTE
Votre chambre est ici, au fond.
MUSEROLLE(passant.)
J'y vais… (De la porte, très gracieusement.)
Tu m'apporteras de l'eau chaude, toi-même ! (À part.)
Elle est rondelette ! (Il entre à droite.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...