Doit-on le dire ?
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ACTE II - Scène XIV

Eugène Labiche

ACTE II - Scène XIV

BLANCHE(entrant par la gauche.)
Oh ! c'est vous, mon ami ! (Le marquis la fait asseoir sur le divan, à droite.)

LE MARQUIS
Oui, Blanche, vous quittez votre nièce : est-ce que la vue de cette jeune épouse, l'aspect de ce couple gracieux ne vous a pas fait venir une pensée ?

BLANCHE
Quelle pensée ?

LE MARQUIS(s'asseyant. )
Celle de régulariser notre situation… car, mariés selon les lois de la nature, nous ne le sommes pas selon les lois du monde.

BLANCHE(se levant.)
Chut ! si l'on vous entendait !…

LE MARQUIS
Je me figure quelquefois que, si le ciel n'a pas béni notre union, c'est qu'elle n'est pas légitime.

BLANCHE
Oh ! non ! ça ne tient pas à ça !

LE MARQUIS
Blanche, pourquoi ces lenteurs qui durent depuis dix ans ?… car il y a dix ans que je vous connus pour la première fois, à Mosquitos, où vous étiez venue donner des leçons de piano à un franc le cachet.

BLANCHE
Elève du Conservatoire, un… accident, arrivé dans ma famille, m'avait réduite à cette extrémité.

LE MARQUIS
Oui, je sais… C'est alors que, touché de vos chastes grâces, j'eus l'ingénieuse pensée de vous demander quelques leçons de piano… à deux francs.

BLANCHE
Je n'oublierai jamais vos bontés.

LE MARQUIS
Doux souvenirs ! Nos mains se rencontraient sur les touches d'ivoire, nos pieds sur la pédale d'étouffement, et vous poussiez des petits cris aigus…

BLANCHE
C'étaient vos bottes, mon ami.

LE MARQUIS
Heures pleines de poésie et de laisser-aller, où vous m'avouâtes que vous étiez demoiselle…

BLANCHE
Dame !

LE MARQUIS
C'est-à-dire libre de votre cœur et de votre main… (Soupirant.)
Le cœur, vous me l'avez donné… mais la main, je l'attends toujours.

BLANCHE
Plus tard… nous verrons… (À part.)
Il tombe bien… Et Muserolle !

LE MARQUIS
Toujours des atermoiements ! Tenez, parfois il me vient des soupçons… Je crois que vous en aimez un autre ! et alors !… (Il tousse.)
C'est mon cure-dent !

BLANCHE
Ah ! Inès ! vous me brisez… vous me faites bien du mal !

LE MARQUIS
Ah ! pardon ! je blasphème !… (Il tousse de nouveau.)
Le temps va changer… mais, alors, épousez-moi…

BLANCHE(embarrassée. )
J'y songe… Je m'en occupe… J'attends le consentement de ma famille.

LE MARQUIS
Ta ta ta !

BLANCHE
En France, ce n'est pas comme dans votre pays, vous vous mariez sous un palmier, et tout est dit.

LE MARQUIS
C'est bien plus simple. Mais je suis las de cette vie irrégulière, de cette vie de cascadeur… Il faut que ça finisse ! Je vous donne jusqu'à demain matin pour réfléchir… (Il remonte.)

BLANCHE
Inès !

LE MARQUIS
Jusqu'à demain matin !

BLANCHE
Inès ! Ecoutez-moi. (Il sort majestueusement par le fond.)


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